Extrait du journal

de son chagrin. Ils se trompaient l’un et l’autre, et, trop fiers pour se plaindre, se taisaient tous deux. Parfois, cependant, le commandant secouait son apathie. Tenté par le soleil, il partait pour une de ces courses dans la campagne qu’il adorait jadis. Dans le jardin, il rencontrait les deux jumeaux u’Annette, une paysanne de Collioure, promenait ans les allées. Alors il s’approchait, soulevait avec des précautions maladroites le petit Jacques, — un adorable bébé éclatant de fraîcheur et de san té, — et examinait ses traits mignons. Comme il ressemblait à Marguerite ! à cette Marguerite tant aimée, tant choyée, et vouée à vingt ans, grâce à son imprévoyance, à un céli bat éternel ! A ces réflexions, le front du vieillard se plissait, sa grosse moustache rêche tremblait, il rendait le bambin à la bonne et gagnait à grandes enjambées le couvert des arbres. Quant à Odette, elle partageait rarement ces caresses; l’oncle éprouvait pour elle une sorte d aversion; la fillette ressemblait trop à son père. Frêle, maladive, elle inquiétait Mirguerite. La auvrette semblait ne pouvoir grandir, ses memres, comme noués, ne se développaient pas; son œil éteint, sa bouche sans sourire, son teint plom bé en faisaient une petite créature disgracieuse, destinée à une infirmité incurable. Le temps, ce guérisseur infaillible, apaise, qu’on le veuille ou non, nos plus cuisantes dou te irs. Un an après son arrivée à Organ, madame d’Asmond sentait se calmer toutes ses révoltes. Les impressions du dehors, au lieu de 1 attrister autant qu’au début, assoupissaient les sensations trop vives, ne laissant plus subsister qu une mé lancolie résignée. C’est l’état de l’âme le plus propice pour rece voir et ressentir des impressions nouvelles. m. Les brises d’automne succédaient aux chaleurs torrides d’août, et Marguerite, ses bébés installés dans une petite voiture, faisait de fréquentes pro-...