Extrait du journal

Nous avons eu raison de faire des réserves sur les classifications officielles des résultats des élections. Rien, décidément, n’est moins précis que la signification politique des scru tins du 1er et du 8 mai. Il ne s’en dégage qu’une seule indication vraiment claire, c’est que les électeurs n’ont pas voulu, en beaucoup d’endroits, faire œuvre politique. L’excellent exemple donné par Roanne s’est reproduit en d’autres lieux — et c'est un symptôme excellent. Il est arrivé très généralement que partout ou presque partout où l’administration a voulu intervenir dans la lutte, elle a été battue. L’opi nion ne veut plus de candidatures officielles ; elle veut le calme et l’apaisement. Beaucoup de préfets, de sous-préfets n’ont pas tenu compte de ces tendances ; il leur en a cuit, et c’est bien fait ! Il y avait pourtant, comme le remarque notre excellent confrère, le Sémaphore de Marseille, un beau rôle à jouer pour les représentants du gouvernement. Pour la première fois de puis bien des années les partis hostiles ont désarmé ; les institutions républicaines sont acceptées par toute la nation, et les diver gences d’opinion qui existent, sur quelques points de détail, peuvent être aplanis facile ment avec un peu de prudence et de bonne volonté. Si l’on avait pu obtenir cette pacifica tion des esprits, réclamée par tous ceux qui ne vivent pas de politique, n’est-il pas vrai que la France serait en ce moment vis-à-vis de l’Eu rope dans une situation exceptionnellement favorable? Depuis 18*0, nous travaillons sans relâche à réparer les malheurs de l’invasion et notre re lèvement a été si prompt, si complet que le vainqueur en a conçu des craintes qui l’ont déterminé à conclure une alliance formidable contre nous. Lorsqu’on a vu l'Italie étonner l’univers par son ingratitude, on a pu croire que nous ne trouverions pas un allié en Europe, puisque nous étions abandonnés par ceux-là mêmes que nous avions affranchis. Les témoignages de sympathie échangés entre deux nations dont la puissance est incontestable, sont venus dé mentir ces prévisions et l’éclatante démonstra tion de Cronstadt a jeté le désarroi dans la Triple Alliance. L'Italie ne peut plus supporter les charges écrasantes que lui impose sa collaboration à l’œuvre germanique. Ses protecteurs ne se font aucune illusion sur l’avenir qui l’attend et jugent sévèrement les procédés financiers auxquels elle a recours pour dissimuler une situation irrémédiablement compromise. Les plus sages voudraient lui voir déposer son bilan tout de suite afin d’éviter une catas trophe qui ne peut être reculée que de quel ques mois. l)’un autre côté, il est visible que l’Autriche, en proie à des embarras intérieurs, ne cherche qu'une occasion de sortir d’une association qui lui est antipathique et dans laquelle elle n’a rien à gagner. Quant à l’Allemagne, elle est gouvernée par un prince qui inspire au moins autant d’appré hension à ses alliés qu’à ses adversaires. On surveille ses moindres mouvements, on est attentif à toutes ses démarches, dans la crainte qu’il ne déchaîne sur ses alliés de redoutables malheurs. La Triple Alliance se désagrège et le temps travaille pour nous. Puisque nous commençons à entrevoir la réalisation de nos espérances, alors que la république, selon l’heureuse ex pression de Gambetta, n’est plus un parti, mais la nation tout entière, est-ce bien le moment d’accuser les nuances qui nous divisent et de ressusciter les vieilles haines ?...