Extrait du journal
FOIRE. Sommes-nous redevables des foires aux Grecs ou aux Romajns, aux Arabes ou aux Chinois? c’est ce dont il vous soucie peu sans doute; si cependant il vous faut absolument une date, je vous dirai1, sans perdre du temps à des recherches archéolo giques , que leur origine en France paraît remonter à celle époque de barbarie où nos routes n étaient pas encore ouvertes et mul tipliées comme elles le sont aujourd’hui, où les provinces étaient sans communication entr’elles ; à celte époque enfin où le peu de sûreté et l’extrême lenteur des voyages étaient telles que nos bons aïeux, avant de s’y hasarder, faisaient leurs testaments comme l’aurait pu faire un conscrit du temps de l'Empire. Une foire était alors une espèce d’entrepôt ; l’habitant de la ville et des campagnes venait s’y approvisionner des choses néces saires à la vie; mais aujourd’hui chaque ville un peu considérable n’est-elle pas une foire perpétuelle, et le moindre village n’a-t-il pas ses objets de première nécessité : aussi, à quelques excep tions près, nos foires sont pour la plupart moins des rendez vous d’approvisionnemens, que des rendiz-vous de plaisirs et de gaîté. Cela posé, et je demande grâce à mes lecteurs de n’êlre pas plus érudit ; parlons de la foire à qui vous devez les belles ré* flexions que vous venez de lire ; je veux dire de la foire de Meaux. Pendant une semaine environ, un monstre plane sur cette ville; ce monstre est partout, atteint tout ; quoique vous fassiez pour resserrer les cordons de votre bourse, il les déliera ; mais ne crai gnez rien , il 11’est pas horrible , épouvantable ; il n’est pas de la famille des spectres ; il est doux, poli, insinuant, flatteur; nou veau Protée , il revêt toutes les formes, et pourvu qu’il arrive à ses lins, ce qui ne doit pas manquer, il n’est rien qu’il ne fasse pour vous plaire.... ce monstre.... c’est l’intérêt. Gare donc à votre argent ! ce jour - là chacun veut en avoir sa part ; depuis l’échoppe jusqu’au brillant magasin , depuis l’artiste dramatique jusqu’au joyeux polichinelle ; promenez vous quelques instans sur la place bruyante où se tient la foire, vous serez dépecé en quelques minutes; chacun s’appropriera une part de votre individu, le tailleur regardera votre habit, le cor donnier vos bottes, le chapelier vous montera jusqu’au haut de la tête, etc. ; chacun de son regard interrogateur vous dira ; achetez-moi, car dans un temps comme celui-ci il faut abso lument faire une emplette. Mais trêve de bavardage et parcourons au pas de course ce que Von a baptisé , je ne sais trop pourquoi, du nom de foire, à moins qu’on ait voulu établir un parallèle grotesque entre le forum des Romains, et nos places d’approvisionnement. Nous voilà sur le Cours-Pinteville, sur cette place décorée du beau nom de Lafayette, aujourd’hui transformés en foire aux bestiaux ; quel spectacle, bon Dieu ! c’est l’arche de Noë, c’est a tour de Babel ! entendez-vous les blasphèmes et les vociférations...
À propos
Fondé en 1833 sous le nom Journal du commerce de l’arrondissement de Meaux, cet hebdomadaire républicain et conservateur devient le Journal de Meaux après seize numéros. Il prend finalement le nom de Journal de Seine-et-Marne en 1838 avant de disparaître cent ans plus tard, en 1939.
En savoir plus Données de classification - chanson
- labot
- justin
- babel
- meaux
- lafayette
- france
- polichinelle