Extrait du journal

le royaume de Cocagne, et l’empire français, par scs fastueux festins comme par ses conquêtes et sa grandeur, semblait rap peler l’empire romain. Une truite admirable fut pêchée à cette époque dans le lac de Genève. Préfets, échevins, municipaux, notables, tout fut en émoi dans la petite république ; on résolut d’envoyer an prince Cambacérès la monstrueuse truite. On fît disposer en toute hâte un immense vase de terre; l’offrande soigneusement enveloppée, comme une momie, de bandelettes imbibées de saumure, y fut mollement étendue sur une couche de plantes indigènes. Dans un second vase on mit la sauce, faite par le seul cuisinier du pays qui possédât la véritable recette, et Von fit partir un courrier chargé de la précieuse caisse, qui devait assurer à ld république la puissante bienveillance du prenait r magistrat de l’empire. Aussi fier qu’un triomphateur, le gastro nomique envoyé arriva sans malencontre à Paris. La truite fut présentée, fêtée comme elle devait l’être. Le prince ne dédaigna pas d’en témoigner lui-même sa gratitude aux donataires; d’Aigrefeuille pensa mourir d’une indigestion ,et M. Marbé-Marbois, ainsi que plusieurs magistrats de la cour des comptes, qui avaient eu le bonheur de manger de cette truite sans pareille, en parlaient avec admiration et attendrissement. Cependant la Cour des comptes, en examinant les dépenses de Genève, osa rejeter de son budget l’article suivant : « Achat d’une truite, cuissons, saumure, sauce et envoi à M. le prince archi-chancelier : 6000 francs. » Aussitôt grande rumeur, Cambacérès indigné court aux Tuileries, se plaint de la mauvaise chicane que l’on fait à ces honnêtes Genevois. L’empereur lui-même approuve sa sainte colère, et bientôt parut un décret qui in terdit à la Cour des comptes de s’immiscer dans l’administration des fonds communaux....