Extrait du journal

Le ler1er mai a été calme. Le peuple de Paris s'accommode avec philosophie des événements étranges que les vicissitudes politiques lui Imposent. U a maintenant l'habitude des manifestations massives qui ne signifient rien. U s'habitue à ces cortèges énormes et puérils qui ne vont nulle.part et qui constituent généralement un morne spectacle. Hier, s'il y a eu à Paris des sentiments heureux, c'est aux premières fleurs, c'est à la brusque éclo sion du printemps qu'on le doit. Les dé monstrations politiques ont été funèbres. Personne n'attache plus d'importance aux nuances qu'on peut discerner dans les dis cours des syndicalistes comme M. Henri Reynaud ou M. Jouhaux. L'un hausse le ton pour soutenir des revendications ab surdes. L'autre se dit révolutionnaire avec politesse. En réalité, tous les deux sont parfaitement d'accord pour boulever ser la société actuelle, anéantir l'autorité et instaurer sous des étiquettes diverses un régime dictatorial et barbare. Comme il fallait s'y attendre, le gou vernement Blum a fait beaucoup de bruit autour de la fête du travail. Il a même accepté que celle-ci devienne une fête de la nation. Ce zèle soudain est pourtant as sez paradoxal. S'il y a eu dans la philoso phie du Front populaire une idée obstiné ment respectée, c'est bien celle-ci que le travail est la chose du monde la moins ho norable et la plus humiliante. Toutes les manifestations du cabinet Blum ont tendu à prouver que le progrès, l'amélioration de la condition humaine, le bonheur et la dignité exigeaient qu'on travaillât le moins possible. Fini le culte du labeur, abolie la vertu de l'effort. Ce qui compte dans l'histoire, c'est l'ivresse des loisirs, c'est la liberté dans la paresse. Le Front populaire qui a échoué dans beaucoup de choses a au moins réussi à désorganiser le travail et à discréditer le travailleur. Les petits patrons, les petits commerçants, les artisans, les ouvriers consciencieux qui ont du goût pour ce qu'ils font et qui ne mêlent pas la politique à leur tâche sa vent présentement Ce qu'il leur en coûte d'aimer l'ouvrage bien fait..Dans la mé lancolie des foules d'hier, il y avait cette surprise que le travail fut célébré par ceux mêmes qui ont supprimé le droit au travail libre et qui organisent chaque jour l'apothéose de la paresse....