Extrait du journal

Nous nous excusons de revenir sur cette question de la marine marchande. Mais elle subit actuellement une telle crise, crise de matériel, crise de personnel, que notre devoir est de dénoncer le mal parce que nous savons que le remède est à notre portée. Aussi bien avons-nous connu après la guerre, dans la marine militaire, une défi cience sinon aussi grave, du moins dange reuse. Or, la marine militaire l'a surmontée avec une vigueur étonnante parce qu'elle a fait appel aux principes de la discipline tra ditionnelle du bord. C'est donc cette marine militaire, aujourd'hui si parfaitement sou mise au commandement de chefs exemplai res, qui va nous servir d'exemple pour sauver notre pavillon d'une tourmente dans laquelle il risque d'être englouti. Que devons-nous faire ? i" En premier lieu rétablir ce que nous appelons l'esprit de solidarité à bord. Ce n'est pas en vain qu'on appelle équipage cet en semble d'hommes qui, du capitaine au dernier des mousses, compose le rôle d'un navire. Or, cet esprit d'équipage a été complètement dé -naturé depuis plusieurs aimées par jcette con ception qui a fait des marins des ouvriers astreints à des heures de présence limitées, de 9 états-majors des contremaîtres dont l'autorité cessait à l'expiration des heures de service, des capitaines des serviteurs des dé légués syndicaux et enfin du navire une usine que l'on abandonnait à son destin après la fermeture des portes. Non, le navire est autre chose que cela : c'est une entité vi vante, qui porte un nom et auquel l'équipage est consacré ; 2° J'ai parlé en second lieu de restaurer l'autorité du capitaine et des officiers ; mais avant tout il faut rétablir l'autorité du mi nistre de la marine marchande et des admi nistrateurs de l'inscription maritime, qui ne doivent être détournés de leurs devoirs ni par des soucis électoraux ni par aucune considération étrangère au bien de la marine, ce qui a été malheureusement le cas bien souvent. Or le ministre sait sur qui s'ap puyer : sur les armateurs responsables de la gestion de leur flotte. Il faut leur donner les moyens d'exercer cette responsabilité et de s'en montrer dignes ; 3° Après mûre réflexion, je suis convaincu que, malgré toutes les sanctions qui pourront être prises, malgré toutes les instructions données, nous n'aboutirons à rien si nous n'inflovons pas et" si hoiis n'infusons pas'un sang nouveau à la marine marchande. Autre fois, c'étaient des officiers de marine qui commandaient les paquebots. Sans revenir à ces errements qui décourageraient les états majors de la marine marchande, nous de mandons que des officiers de vaisseau ayant occupé les fonctions de chef de service de sécurité sur des navires de guerre soient dé tachés en mission à bord de nos paquebots pour occuper ces mêmes fonctions, et ceci à la solde de la marine marchande. Nous sommes persuadés que leur autorité, leur in dépendance auront tôt fait de remettre de l'ordre à bord, où le relâchement de la disci pline a mis en danger l'existence du navire ; 4° Il faudra enfin élaborer un règlement sur le service à bord établissant des consi gnes sévères qui empêcheront notamment un pâtissier de laisser des feux allumés dans un local fermé où se trouvent des matières in flammables. Tant pis si ce règlement ne cadre pas avec les contrats collectifs : il fau dra les modifier en conséquence. Le souci de sécurité doit passer avant tout. Etre marin est un honneur qui implique des devoirs et une servitude. Ceux qui ne le comprennent pas n'ont rien à faire sur nos bateaux. René La Bruyère....