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Journal des débats politiques et littéraires, 5 avril 1924

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Journal des débats politiques et littéraires
5 avril 1924


Extrait du journal

L'orgueilleux tombeau On s'occupe toujours du tombeau de Chateaubriand, et on va peut-être se trou ver dans l'obligation de le déplacer, si l'on ne veut pas que la mer l'emporte. A Dieu ne plaise que nous parlions ici sans un profond respect de l'admirable écrivain dont l'âme théâtrale n'en fut pas moins grande, et qui a souvent mêlé les pensées les plus pénétrantes à l'étalage de sa magnifique pourpre verbale. Mais il faut avouer que, si un mort pouvait pren dre du ridicule, cette mésaventure ne lais serait pas de lui en donner un peu. Car ce poste aventuré, c'est lui qui l'a choisi. Il est allé défier la vague. Il a voulu, à l'écart des hommes, mais non pas hors de leur regard, mener avec l'Océan un dialogue éternel. L'Océan avance, va-t-il reculer? Si l'on place ailleurs sa tombe, la remettra-t-on du moins au bord de la mer, pour, qu'il puisse continuer sa con-' versation avec les flots ? Mais, après un tel déménagement, cette conversation -ris querait fort de ne plus être prise au sé rieux. Remettra-t-on simplement le cer cueil dans un cimetière, et infligera-t-on à l'ombre superbe la mortification de la faire rentrer dans la troupe des morts ordinaires, comme, un enfant qu'on ramène à la maison ? A vrai dire, Chateaubriand, n'a pas eu de chance; il aurait fallu que la tempête l'emportât d'un coup, comme une barque qu'on ne revoit plus. Cette disparition magnifique aurait bien convenu' à cette âme d'une mélancolie fastueuse : cela lui aurait fait comme une seconde mort, un nouveau départ où il aurait quitté tout à fait les hommes. Telle qu'elle est, cette histoire met en lumière ce qu'il y eut d'affecté dans le choix de cette sépulture, et c'est cela qui nous choque un peu, car la tombe exige avant tout la simplicité. Chateaubriand est regardé communément comme le type de l'orgueilleux. Il y aurait beaucoup à dire sur ce grand mot, comme sur tous les autres, car ils donnent lieu à des malen tendus perpétuels. Pour nous, avoir besoin de l'applaudissement, guetter l'effet qu'on produit, et se ménager une solitude arti ficieuse où l'on cherche à occuper i'esprit de la foule davantage encore que si. î'on était resté avec elle, ce n'est pas montrer de l'orgueil, c'est tout le contraire. Les! grands sentiments se reconnaissent à Fin dépendance qu'ils nous procurènt, et la vanité seule nous assujettit aux hommesj tandis que l'orgueil nous permet de nous passer d'eux. C'est.une question de savoir si là supériorité s'accompagne ment d'orgueil : cela ne paraît pas forcé, car plus une âme est grande, plus elle peut se permettre de s'oublier. Ce qu'il y a dans l'orgueil d'un peu risible, c'est ] qu'on n'a pas l'air de s'être encore habitué à soi. Un homme qui laisse voir ce senti ment, fût-il doué des qualités les plus rares, apparaît alors comme le parvenu de son génie. "On se demande toujours s'il ne se propose pas simplement de faire...

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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