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Journal des débats politiques et littéraires, 6 juin 1898

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Journal des débats politiques et littéraires
6 juin 1898


Extrait du journal

peut-être-celui que la jeunesse française contem poraine aime le plus. Il a beaucoup agi, fortement influé sur le caractère, la conscience, la manière de penser et de sentir des générations nouvelles. Nous avions déjà pour lui une admiration très vive, une tendresse reconnaissante; nos fils le mettent encore plus haut que nous. Deux de ses livres, en particulier, Ma Jeunesse et Mon Journal, sont très lus par nos jeunes gens ; ils ne me dé mentiront pas si j'ose ici parler en leur nom. Michelet n'a pas été de l'Académie française ; on n'a jamais su pourquoi : l'Académie elle même ne le savait probablement pas. Elle en verra, sans doute, quelqu'un, un orateur ou une délégation, àla fête de son centenaire. Il me semble, bien que je n'aie qualité ni pour dési gner, ni pour exclure personne, —qu'un éduca teur comme M. Gréard, ou qu'un historien comme M. Lavisse, ou que' l'administrateur du Collège de France, M. Gaston Paris, seraient heu reux de célébrer, de ressusciter dans un discours le penseur, le peintre d'histoire, le professeur in comparable que Michelet a été. Je viens de fêter, à part moi, obscurément et silencieusement, son centenaire : j'ai relu quelques-uns de ses livres ; j'ai relu, en particulier, l'excellente Anthologie, publiée par M. Seignobos, avec une préface de Mmc Michelet ;on y trouve, en un seul volume, l'aperçu et la substance de toute son œuvre. Je me permets de recommander la préface, très, courte et très pleine, à ceux qui voudraient re voir Michelet une dernière fois et prendre un contact familier, intime, touchant, avec son génie. . Ce génie était fait de lumière et de chaleur, d'intelligence et de bonté, de divination aussi. L'étude attentive, la connaissance, l'évocation du passé l'éclairaient sur le présent et lui ouvraient de larges perspectives sur l'avenir. L'histoire l'avait initié au secret du travail incessant et mystérieux de la race humaine. C'était Un voyant et un croyant. Il croyait au peuple, à la démocratie, au labeur et au progrès de l'Humanité. Personne ne souf frait plus que lui des maux humains. Sa jeunesse, très dure et très stoïque, au lieu de l'endurcir, comme il arrive quelquefois, et de le bronzer, avait, au contraire, ouvert dans son âme une source de tendresse infinie pour les hommes, ses semblables. Il était entré en sympathie avec toutes les époques, avec tous les êtres; il avait foi dans les destinées humaines et cet optimisme généreux, qui le soutenait dans ses épreuves, peut nous être utile dans les nôtres ; il rêvait pour la France de demain, pour la société future, une ère de liberté, de justice, de travail fraternel et joyeux, que les meilleurs d'entre nous rêvent en core et que chacun, dans sa mesure, s'efforce de préparer. Je voudrais donc que cette « fête de Miche let » fût la fête de la jeunesse, du peuple, et de Pavenir, une sorte de fête de la Fédération, comme Celle dont il a lui-même si bien parlé. Il n'est pas à souhaiter que ce centenaire soit en touré de toutes les pompes officielles : les céré monies officielles, mêlées de démonstrations administratives, ont toujours quelque chose de froid. Il ne faut pas que ce centenaire ressemble à une exhumation nationale, réglée d'avance. Lais sons faire l'initiative privée et surtout la jeunesse des Ecoles : elle est assez ingénieuse et assez ac tive pour avoir d'heureuses inspirations. Il n'est pas possible cependant que l'Université de France, avec sa fonction et sa mission d'édu catrice, se désintéresse absolument d'une com mémoration qui doit la toucher. Elle manquerait, croyons-nous, à son devoir, elle répondrait mal au vœu public, si elle ne cherchait pas, si elle ne trouvait pas un moyen de saluer, après cent ans, le jour de naissance d'un des hommes qui l'ont le mieux servie et le plus glorieusement représen tée. Il ne suffit pas qu'elle ait donné le nom de Michelet à l'un de ses collèges; on lui reproche rait comme une désertion, comme une trahison, de ne pas figurer au centenaire. C'est, du reste, avec des fêtes comme celles-là, et qui l'a mieux dit que Michelet, dans son livre intitulé : Nos Fils?— qu'on entretient et qu'on renouvelle l'âme d'une nation. « Comment fait-on des fêtes? a-t-il écrit. Quelle vaine question ! Mais on ne les fait pas. Cela naît de soi-même. Un matin, on s'éveille. Tout a jailli du cœur. C'est fait. Hier, qui s'en serait douté ? » Si le cœur de Paris et celui de la France ne bat taient plus au nom de Michelet, c'est que l'un et l'autre seraient bien refroidis ou bien oublieux... S....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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