Extrait du journal

Nuits vénitiennes Les plus belles nuits sont les plus dangereuses pour la cité des Doges. La clarté de la pleine lune, découpant en traits noirs les plages sur la mer imprégnée d'une lueur d'opale, facilite les incursions des avions autrichiens et leur marque le but. M. Luigi Barzini décrit, dans le Cor riere délia Sera, une de ces nuits d'attente. Le lecteur nous saura gré de traduire cette page saisissante, à laquelle le bombarde ment d'hier donne un intérêt tout particu lier et que nous avons seulement le regret d'abréger... Personne ne dort; quelques ombres de promeneurs s'attardent sur les rives blan ches et sonores du quai des Eselavons ou se meuvent lentement entre les colonnes dés Procuraties. Une horloge tinte onze coups. A cette heure, l'autre soir, ils étaient déjà arrivés; c'est que la lune se levait plus tôt. Ils ne peuvent guère tarder. Deux ou trois groupes de gens immobiles contem plent la basilique barricadée de sacs, pâle et comme diaphane dans la clarté lunaire, solennelle, prodigieuse, vivante, et sem blent cloués sur place. Ils se demandent sans doute avec angoisse si, dans une heure, l'église sera encore intacte ou la quelle va mourir de ces magnificences que caressent leurs yeux. Saint-Marc S'est* préparé silencieuse ment au péril. Sur ses toits de plomb rayés de noir, dans le paysage fantastique de ses coupoles, veillent les vedettes du feu, les ouvriers de la fabrique; d'autres gardiens volontaires sont en faction au palais ducal; les pompiers, avec leurs machines, atten dent dans le rio....