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Journal des débats politiques et littéraires, 9 septembre 1894

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Journal des débats politiques et littéraires
9 septembre 1894


Extrait du journal

Le comte de Paris est mort. Une longue et cruelle maladie, qui a fait paraître la fermeté de son âme et sa courageuse résignation, a mis fin à cette existence tourmèntée pour laquelle la fortune fut si avare dé ses faveurs. Ayant à peine connu son père, mort tragiquement, il apprit dès l'enfance le douloureux chemin de l'exil. Victime innocente d'une explo sion révolutionnaire, il fut rejeté de son pays qu'il ne devait revoir que vingt-trois ans après en proie aux horreurs du dé membrement et de l'occupation. Elevé par une mère d'un noble cœur et d'une grande âme, qu'il perdit prématurément, entouré de soins maternels par la reine MarieAmélie, il grandit et se développa dans l'exil. Imbu des idées libérales de sa famille, son premier acte public fut de mettre son épée au service de l'émancipation des esclaves. Accompagné de son frère, le duc de Chartres, il prit une part brillante à cette guerre de Sécession qui devait as surer le triomphe d'une cause juste. De toutes les entreprises auxquelles fut mêlé le comte de Paris, il est assez curieux de constater que c'est la seule qui ait été couronnée de succès. A son retour en Angleterre, l'étude des questions sociales l'attira et, un des premiers, il comprit l'importance prépondérante que l'asso ciation des travailleurs devait avoir sur là conduite de la démocratie. En 1870, moins heureux que son frère dont la bouillante valeur trahissait bientôt l'in cognito, il ne put avoir la consolation suprême de combattre à ses côtés. Quand les portes de la France lui fu rent ouvertes, pouvait-il avoir, après une si longue absence, le sentiment de la si tuation politique et la connaissance in time d'un pays si différent de celui qu'il quittait ? Responsable des actes et aussi des intrigues de son parti, tiraillé en sens contraire, sa tâche déjàdélicate n'était pas précisément facilitée par M. Thiers qui avait vu, avec une mauvaise humeur non dissimulée, le retour des princes de la Maison d'Orléans. Avec le 24 Mai se ré véla pour lui la possibilité de réaliser le rêve de quelques-uns des conseillers les plus éminents de sa famille, c'est-à-dire de faire oublier les origines révolution naires de la monarchie de 1830 en se ré conciliant avec le représentant de la branche aînée. On sait comment échoua cette tentative. Le comte de Chambord, quand tout fut rompu, put se dire qu'il avait vengé le drapeau blanc de l'injure de Juillet. C'est peut-être tout ce qu'il voulait. L'échec du 16 Mai, la déroute du parti royaliste, les élections républicaines de 1877 portèrent aux espérances du comte de Paris un coup qui semblait devoir être définitif. Il parut alors décidé à vivre selon ses goûts à la façon des grands seigneurs anglais. •Retiré dans son domaine d'Eu, entouré d'une belle et nombreuse famille, adonné aux travaux de l'agriculture qu'il aimait en connaisseur éclairé, partageant son temps dhtre son foyer, ses amis et ses études sociales, les années qu'il vécut dans la retraite furent probablement les plus heureuses de son existence. Le mariage de sa fille aînée, et les ma nifestations intempestives d'amis mala droits, ou trop politiques, servirent de prétexte aux mesures de rigueur qui le rendirent à ce rôle de prétendant qui n'était ni dans ses goûts ni dans ses aptitudes. Il reprit la route de l'exil. Le coup lui fut cruel et on doit dire, à son honneur de Français, qu'il ne s'en releva pas. On le vit alors errer, désem paré, à travers le monde, essayant de tromper son ennui par des voyages inces sants et de détourner son esprit de la pen sée obsédante de la patrie perdue: C'est ce qui explique son attitude dans l'aven ture boulangiste. Il croyait que c'était, pour lui, le seul moyen de rentrer en France. Le regret de cette erreur passagère, l'effondrement de son parti, l'impossibi lité de revenir dans son pays, tout a con tribué à rendre mélancolique cette der nière partie de sa vie. Il est mort dés abusé. Déjà atteinte du mal qui devait l'emporter, la duchesse d'Orléans écri vait ces lignes touchantes : « Quand la pensée me vient que je pourrais ne jamais revoir la France, je sens que mon cœur éclate. » Que de fois cette pensée a dû revenir à l'esprit du fils qui,...

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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