Extrait du journal

Annie se leva de sa chaise. Les lignes perpendiculaires, qui s'étaient marquées entre ses sourcils depuis une heure ou deux, s'accentuèrent fortement, et ses yeux étin celèrent. M. Solomons devint très doux. Allons, allons, ma chère ! Je n'en pense pas plus mal de vous pour cela. Je suis convaincu qu'il aurait régularisé votre position s'il avait vécu ; mais que j'en sois absolument sûr, je ne peux pas le dire. Au reste, bien des jolies filles ont fait un faux pas pour commencer, et ont trouvé une masse de braves garçons bien contens de les prendre tout de même. N'est-ce pas, Ma dame Baker? Celle-ci resta silencieuse. M. Solomons avait mal choisi son moment pour se donner la satisfaction d'énoncer ce juge ment immoral. Il y eut, à cet instant, une dispersion momentanée des garçons et des filles qui encombraient la porte, et Mmo Hayes parut sur le seuil. Le régisseur se mit sur pied d'un bond, et, enlevant son petit chapeau avec une sorte de murmure qui tenait du bonjour et de l'adieu, il disparut avec une surprenante rapidité, comme elle entrait. Annie était encore debout à l'écart, son calme apathique avait fait place à une som bre excitation. Elle ne sembla pas s'aper cevoir de la fuite de son bourreau. Oui, c'est mon alliance, dit-elle en étendant sa main gauche, et j'ai autant de droit à la mettre que celles qui ont été ma riées à l'église. C'était la volonté de Jess de me la faire porter. Madame Hayes, vous êtes .témoin que tout était arrangé pour notre mariage demain matin à neuf heures. C'est bien assez dur pour moi d'être laissée toute seule ; ce serait trop cruel si le malheur, en arrivant aujourd'hui au lieu de demain, changeait notre sort' à moi et à mon enfant aussi longtemps que nous vivrons....