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Journal des débats politiques et littéraires, 13 août 1852

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Journal des débats politiques et littéraires
13 août 1852


Extrait du journal

nn ordre de pensées a produits : c'est la corres pondance officielle des transportés. Rien de plus tristement instructif que ce recueil volumineux de lettres, entassées maintenant dans les chancelle ries, où se lamentent des esprits vaincus et des cœurs blessés. Toutes ces pages, où se montrent tant de natures diverses, forment cependant une œuvre qui ne manque pas d'une certaine unité. Là ce sont des mots à peine lisibles, tracés par une main ignorante ; plus loin, ce sont des phrases élaborées avec soin par un lettré. Ici c'est une inspiration originale qui se fait jour; en d'autres endroits, c'est la plume banale de l'écrivain public qui rend un élan passionné. Ce dernier cas, le plus fréquent, est peut-être le plus saisissant aussi. Quoi de plus terrible que la leçon donnée à ces créatures remplies contre les supériorités les plus inoffensives et les plus légitimes de la société d'une haine si superbe et si farouche, qui à présent ne peuvent pas dire sans le secours d'une intelligence étrangère : « Je me suis trompé et je souffre ; de la pitié.! » Mais , malgré ce qu'elle a de multiple, cette cor respondance, DOUS t'avons constaté, est marquée d'un très dominant et très reconnaissâble carac tère. Quoique écrites par des médecins, des avo cats , des paysans et des ouvriers, ces lettres sont en définitive le testament d'un même mourant. Ce mourant, c'est l'homme de l'insurrection et de l'oisiveté qui essaie de se transformer en homme du travail et de la paix. Il doit y avoir, à coup sûr, dans celte réunion de toutes les sectes démocratiques plus d'un partisan de ces docteurs qui ont traité la famille de crime social, de barbarie , d'institution dangereuse et surannée. Eh bien ! dans toutes ces lettres que nous avons interrogées tour à tour, c'est le sentiment de la famille qui nous a d'abord frappés. Quels sont les deux refuges en effet et, en quelque sorte, les deux consolations graduées de l'homme que la société est obligée d'écarter de son sein? C'est la famille, pour qui tombe dans la captivité, dans la misère, dans la honte; Dieu, pour qui est repoussé jusque dans" la mort. La famille s'est maintenant comme emparée des hommes dont nous parlons. C'est son esprit qui les visite, qui les attendrit et qui les éclaire. Ce qui reste dans ces âmes, où se sont pressées tant de pensées vides et fastueuses, ce sont quelques souvenirs du foyer; ce qui domine toutes les voix naguère si bruyantes et si irritées de ces cœurs, ce sont des sanglots de femmes et d'enfans. Mais presque toujours une haine s'éveille chez nous à c-ôté d'un amour. Ce bouc émissaire des livres sacres est assurément pour l'espèce humaine la plus indispensable des créatures. 11 faut qu'il y ait .un être , une chose que nous puissions pour suivre de nos colères et accuser de nos désespoirs. ] L'objet exécré, la chose maudite, le bouc émissaire ; des transportés, c'est la politique. La politique est honnie, conspuée, déclarée per fide à chaque page dans cette correspondance d'exilés. Je n'ai pas besoin, bien entendu, d'insister sur ce que ce mot veut dire pour ceux qui le pro noncent avec cette exécration. Ce "que les auteurs de ces lettres repentantes et indignées appellent la politique, c'est cette chimère, cette illusion, ce fantôme formé de mots plus insaisissables que l'air et plus meurtriers que le plomb, qui apparaît au : peuple les jours où , comme l'a dit Camille Des- j moulins, il s'agite dans un li't plein de songes, i tout tremblant de la fièvre des révolutions, j La politique est la passion trompeuse d'où sont nés ! tes malheurs de ces âmes. Aussi les innombrables reproches dont on l'accable peuvent-ils se résumer dans cette apostrophe d'un personnage de Shak speare à l'objet d'un funeste amour : « Pour toi j'ai » négligé l'étude , perdu mon temps, résisté aux » bons conseils, mis le monde à néant, énervé » mon intelligence dans la rêverie et.rendu mon » cœur malade d'inquiétudes. » Ainsi donc, élans de tendresse vers la vie do mestique, horreur ou découragement des débats souvent ensanglantés, toujours stériles de la place publique, voilà ce qu'exprime, à chaque ligne, la correspondance des transportés. Est-ce à dire qu'aucune trace d'erreur ou de folie ne se retrouve dans ces lettres? Non, assurément. Parfois on y rencontre la révélation d'une ignorance qui a quelque chose d'effrayant. Un paysan du Midi dé clare qu'il a pris les armes pour empêcher le ré tablissement des droits féodaux. Un ouvrier adresse au gouverneur une supplique signée : Votre pri sonnier obéissant, dans laquelle il le conjure de ne pas le retenir plus longtemps en Algérie. On découvre sans cesse que les plus simples no tions sur notre organisation sociale manquent à ces hommes qui rêvaient ruine et reconstruction de la société. Quelques transportés avouent avec une naïveté singulière que les règles de leur con duite échappent à leurs propres esprits..» Monsei » gneur, écrit un insurgé de la Nièvre au prince » Président, j'ai été entraîné par quelque chose » que je ne m'explique pas. J'ai voté pour vous en » 1848. Je donnerais encore pour vous (nous con » servons l'orthographe) un ter'de mon sang; je » ne sais point pourquoi je me suis battu. » Puis tout à coup, à côté d'une humilité si pro fonde qu'on en esl affecté péniblement, on retrouve dans ces étranges lettres l'outrecuidance révolu tionnaire, paraissant aux endroits même où elle est le moins appelée. Je déclare, écrivent pour la plupart, avec une bizarre orthographe, des artisans de tous les métiers, que je nie rallie au gouverne ment actuel sans arriére - pensée. C'est là ce fait dont, à propos d'un tout autre sujet, nous parlions récemment, du langage parlementaire se produi sait en lambeaux sur la bouche des ouvriers. La France renferme une immense foule éprise de vanité et de bruit qui a pour quelques mots reten tissans et quelques ambitieuses formules le goût des hommes de couleur pour les chapeaux à plume et les tambours, li y a quelque chose dont on est peiné à voir les malheureux qui nous occupent se parer encore avec un secret orgueil des oripeaux qu'on leur a vendus si cher. Du reste, quelques sen timens regrettables dont on peut çà et là retrouver les traces n'infirment en rien ce que nous avons dit tout d'abord sur les lettres des transportés : ces...

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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