Extrait du journal
il faut vivre long-temps ! Quoi qu'il en soit, dès qu'il a paru, tout le monde s'est levé en même temps pour contempler ce vaste front. . cette calme figure où l'âge a respecté les signes extérieurs de la pensée, pour étudier cet homme qui représente tant de choses ; cet s acteur de tant de grands rôles qui fut supérieur à tous ses rôles; cet heureux survivant qui , dans la tontine des années , ramasse sur sa tête les dépouilles dé l'autre siècle, ! Peu après, une scène différente a pendant quelques minutes ï un peu diverti l'assemblée. L'arabassadcufjuirc s'est montré, suivi ; de ses deux secrétaires. Dussé-je, comme dit Figaro, brouiller mon » pays avec la Turquie d'Europe, une partie de l'Asie-Mineure et ; tout le royaume de Barca, je confesserai qjie l'on ari quelque peu. Et le moyen de né pas rire? Figurez-vous én effet ces superbes fils d'Oihman en redingote à la propriétaire, coiffés d'une espèce de bonnet de coton rouge qui leur couvre les yeux! Vraiment les Turcs du carnaval, les mamamonchis du Bourgeois gentilhomme sont plus Turcs que ces Turcs-là. Il est singulier que l'Orient ait commencé sa réforme par abandonner ce qu'il avait de plus bril . lant, le costume. Peut-être toute réforme est-elle ennemie de la s poésie. , : 1 Quand ce petit embarras d'académiciemVdont j'ai parlé plus haut ■ a été terminé, M. Thiers a pris la parole. Je ne donnerai point l'a nalyse de son discours, car il va être rapporté ici dans son entier. Je dirpi seulement quelles impressions il m'a semblé produire sur l'assemblée. i D'abord, et c'est beaucoup dans un discours académique, tous | les auditeurs ont été entraînés ou séduits p?r la force ou la finesse : des pensées ; tous ont admiré l'élégance , la correction , la clarté, la fermeté du style. On est convenu, même à l'Académie, que M. Thiers savait la phrase académique, comme il sait la phrase de l'historien et la phrase de l'orateur. Quant à la division, il m'a semblé que la première partie était la meilleure; peut-être parce qu'elle est plus littéraire, et qu'à l'Aca démie, avant tout, on cherche la littérature. Cette partie, hors quelques digressions qui, du reste, se lient au sujet même, ne renferme que l'histoire de la vie et des travaux de M. Àndrieux ; cette vie si calme et si honnête est racontée avec un grand charme, une grande simplicité: ces travaux si distingués à beau coup d'égards, sont examinés avec goût, discutés avec esprit qu'un éloge : c'èsfunjîîgêmetvt. {Jne fois seulement M. Thiers m'a paru tomber dans l'exagéra tion d'académie, lorsqu'il parle de la Décade philosophique. Ce recueil comptait, parmi ses auteurs, Andrieux, Chénier, Ginguené Cabanis. Ils pensaient, dit M. Thiers, comme Voltaire, à une époque où peut-être Voltaire n'eût plus pensé de même ; et M. Thiers a raison; puis il ajoute : Ils écrivaient comme Voltaire, sinon avec son génie, du moins avec son élégance. Ici, je crois" M. Thiers n'a plus raison; rien ne rappelle moins l'élégance du style de Voltaire que la prose de M. Andrieux, de Chénier, sur tout de Ginguené, et de Cabanis. M. Thiers dit ailleurs, en parlant des Etourdis, que cette pièce est la première et la meilleure qu'Andrieux ait faite. Ce jugement est vrai ; il a été porté depuis long-temps. Mais est-il vrai qu'à vingt-deux ans M. Andrieux ait composé sa meilleure comédie parce qu'à cet âge il voyait des étourdis, étudiait leurs mœurs, et qu'un auteur comique ne peut bien peindre que ce qu'il a vu? L'axiome en lui-même me semble faux ;je crois qu'on peut de viner lés mœurs, les ridicules de la comédie sans les avoir vus comme on devine les passions tragiques sans les avoir ressenties! Que s'il m'était besoin d'un illustre exemple, je citerais Sheridan : à vingt-six ans, Shéridan avait donné sa meilleure comédie et la meilleure comédie anglaise, VEcole de la Médisance. Cependant m par son âge ni par sa position il n'avait pu voir ce qu'on nomme le monde. Et pour revenir à M. Andrieux lui-même, dans ses autres ouvrages nous représente-t-il des mœurs qui lui étaient étrangères? Qu'est-ce qu'il nous montre dans le Trésor, si ce n'est le ménage d'un savant, d'un professeur du collège de France. Et qui mieux que M. Andrieux pouvait nous montrer ces paisibles habitudes? Enfin, la Comédienne ignorait-il les mœurs des cou lisses? Non. Andrieux n'est pas allé pliis loin que les Etourdis parce que telle, était la condition de son esprit. > ' Nous avons tant d'auteurs qui n'ont fait qu'un ouvrage, ditun poète à qui nous devons plusieurs ouvrages excellens ; c'est qu'il leur était donné de n'enfanter qu'un bon ouvrage : n'est-ce pas en core beaucoup ? Tels furent entre autres Piron, Gresset, Andrieux Non certes que je veuille comparer la Métromanie et le Méchant aux Etourdis. Aux esprits difficiles, peut-être il a semblé que la seconde partie de ce discours ne se rapportait pas assez bien à la première • peut être encore qu'à FAcadémie M. Thiers aurait dû tout à fait dépouil ler l'homme politique. Mais, dans cette seconde partie, son action a été si puissante, sa pensée toujours si juste; il a si bien raconté les gloires de notre passé, si bien prédit, dn moins je l'espère, les gloires pacifiques de notre avenir, que nul n'est resté indifférent à sa parole. Le défaut d'unité est perceptible seulement à quelques uns; l'éloquence s'adresse à tous. J'en ai été témoin aujourd'hui. Au reste, voici ce discours tel qu'il a été prononcé : « Messieurs, ' » Eu entrant dans cette enceinte, j'ai senti se réveiller en moi les plus i beaux souvenirs de notre patrie. C'est ici que vinrent s'asseoir tour â tour Corneille, Bossuet, Voltaire, Montesquieu, esprits immortels qui...
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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