Extrait du journal

La prise de tabac. La presse délibère, on sait à quel propos, si un juge d'instruction peut donner la main à un prévenu. On cite des précédents. L'lndépendance belge connaît un exemple, vieux de quarante ans, et qui n'est pas sans saveur. M. de Bavay, procu reur général et partisan acharné de la peine de mort, demandait au jury du Brabant la tête d'un quidam coupable d'avoir assassiné un jeune anglais. M. de Bavay demandait cette tête avec une ardeur vengeresse. Quand il eut fini de plaider, et qu'il se fut assis, il tira sa taba tière. Et alors quelque chose d'inouï dans l'his toire de la justice humaine, et probablement de toutes les autres, se passa. Ce procureur géné ral se pencha vers l'accusé qu'il venait de vouer à la mort ; et se souvenant que tous les hommes sont frères, il lui tendit la tabatière qu'il tenait à la main, et l'engagea à y puiser. Ce magistrat avait une âme exempte de fiel. Il expédiait les gens, mais il ne leur en voulait pas de les faire condamner. Ses colères n'étaient que juridiques. Peut-être aussi voulut-il atténuer l'effet de son réquisitoire, et donner au candidat à l'échafaud une dernière consolation, sous les espèces d'une bonne prise. Peut-être son geste était-il un signe de cette solidarité que l'usage du tabac formait entre tous les nez des fils d'Adam. Peut-être...