Extrait du journal
LE COUP DE GRISOU '" V 11 y a, dans le jardin du Luxemboùrg, sur la pelouse centrale, devant l'entrée du palais, un piédestal dont l'histoire mérite d'être contée. Il supportait jadis une sorte de mirliton poly chrome dont, innocemment, on avait cru faire une réclame à l'Ecole nationale de mosaïque ■; car nous avons une école de mosaïque, et elle est nationale, et elle fabrique des mirlitons. Sous la caresse du grand soleil, ce distingué produit des Manufactures nationales jetait des feux étincelants ; il fascinait depuis un an les militaires, les moineaux et les bonnes, quand l'administration s'avisa que peut-être ce cylindre de mosaïque n'était point à sa place. Sans con tredit il avait son mérite ; c'était un bel objet, riche, coloré, meublant, qui taisait à lui seul la gaieté du jardin. Etait-il « dans le style» ? C'était une autre affaire. Les gens de goût prétendaient que non ; le directeur des Beaux-Arts partagea leur avis. Le mirliton périt sous cette coalition. Bariolé et doré comme un sucre de pomme, il formait décidément, avec la tenue sévère de la façade toscane, un contraste trop criant. On le rémisa dans quelqu'une de ces mor gues, qu'il serait intéressant de connaître, où vont s'échouer les objets d'art dont l'Etat lui même a fini par sentir l'horreur. Le piédestal restait. On y mit une statue, et, sur la pierre, on grava : Coup de grisou. La sta tue, en effet, représentait un mineur qui, les bras au- ciel et la bouche crispée, parais sait mourir dans les circonstances les plus pénibles. Jusqu'à quel point cet ouvrier du vingtième siècle, vêtu d'un pantalon, coiffé d'un chapeau de drap, était-il « dans le style » ? L'administration fut encore reprise d'un scru pule. Elle voulut quelque chose de plus toscan et de plus« dix-septième ». Elle porta ses vues sur une statue de Bailly. Le choix fut aussitôt agréé du Sénat. Au lieu de ce prolétaire qui semblait réclamer à la Chambre Haute, de façon indiscrète et un peu théâtrale, les lois sur les accidents du travail et les retraites ouvrières, le Sénat se réjouit à la pensée de voir, sous ses fenêtres, l'image de cet astronome. Et le premier député de Paris remplaça le mineur renvoyé à sa fosse. Sur le même piédestal il se dresse aujourd'hui, correct, solennel, la main haute, prêtant, avec une conviction qui l'honore, serment de fidélité à la Révolution. Le piédestal a gardé l'an cienne épigraphe; on lit toujours sur la pierre : le Coup de grisou. Cela étonne un peu les passants. Mais Je n'ai pas trouvé cela si ridicule. L'inscription a peut-être plus d'esprit que jamais. Z....
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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