Extrait du journal

M. Ferdinand Buisson, député radical-socia liste, vient d'ôtro vertement blâmé par. la Fédé ration radicale de la Seine. Lors des dernières élections municipales, il est allô soutenir en réunion publique un candidat socialiste unifié, contre un radical dé son propre parti. G était un acte d'indiscipline caractérisé. M. Buisson n'a vait même pas l'excuse d'opérer dans son pro pre arrondissement et pour des combinaisons électorales : il est allé porter la discorde dans un arrondissement voisin qui ne lui demandait rien. Mais le démon du scbisme est en lui . la Fédération radicale,quiest une sévère Eglise, n'a pu supporter chez l'un des siens cet esprit de destruction et de révolte, et elle a réprimandé comme un jeune lévite M. le professeur Buis son. ' ... , Alors le coupable a découvert toute 1 ingé niosité et toute la hardiesse de son âme : il a avoué. Oui M. Buisson a désobéi, mais il a dés obéi en sachant ce qu'il faisait. S'il a consciem ment abandonné en pleine lutte un homme de ■on parti, s'il a couru avec éclat du côté de son adversaire, c'était pour frapper les foules par cette action incroyable. Gomme un héros an tique, M. Ferdinand Buisson se dévouait; il s'ex posait aux foudres de la Fédération pour attirer l'attention sur le péril que faisait courir àla République la lutte d'un -unifié et d'un radical ; il délaissait le second pour le premier afin que par cette démarche symbolique, il dénonçât la nécessité d'aller à gauche, toujours à gauche. Chaque peuple a ainsi ses usages pour signaler les périls publics: on assure qu'au Japon les citoyens zélés pour la cause publique s'ouvrent lè ventre quand ils veulent marquer leur désap probation de la marche des affaires. Chez nous es mœurs sont douces, et l'on se contente de se faire prendre en flagrant délit d'indiscipline par la Fédération de sou département. Ce n'en est pas moins de 1 héroïsme : la Lanterne ne se tient pas de joie, elle crie bravo M. Buisson ! et le sacrifice du député radical-socialiste trouve ainsi sa récompense. Cependant la Fédération radicale a refusé de comprendre le langago par gestes do M. Buis son. Non seulement elle l'a blâmé, mais quand M. Buisson pour se réhabiliter a essayé de faire voter un ordre du jour affirmant en termes d'ailleurs compliqués qu'il fallait s entendre avec les unifiés dans la bataille électorale, la Fédération a ajourné celte motion pour étude, et si nous en croyons la Lanterne, elle l'a ajournée dédaigneusement. Ainsi M. Buisson s'est trouvé battu deux fois. Il faut avouer que sa morale est infiniment subtile, et que la Fédération radicale de la Seine pouvait avoir quoique peine à bien comprendre. M. Buisson a beau dire qu'il a voulu donner une grande le çon : la pédagogie qui consiste à abandonner le radical pour secourir l'adversaire unifié est un peu paradoxale. Ces différends entre radicaux et socialistes ne nous regardent pas et nous n'en parlons qu'en spectateurs. Pour la simple galerie, ignorante des grandes intentions de M. Buisson, la leçon de choses imaginée par le député radical-socialiste passe les sentiments de l'humanité ordinaire. Il est sublime chez un radical d'aller, pour montrer la fraternité qui unit deux candidats adverses, secourir celui précisément qui n'est pas radical.C'estde l'abné gation, mais c'est trop fort : la Fédération de la Seine, qui ne se pique pas d'être surhumaine, a jugé surtout que c'était peu pratique. Il y a cependant une indication à retenir dans l'aventure de M. Buisson. S'il a voulu faire un...