Extrait du journal
Ce n'est point, à coup sûr, une question d'importance majeure que celle de la participation de l'armée aux fêtes et di vertissements publics ; mais elle n'en offre pas moins un certain intérêt, tant pour les militaires que pour le public lui même, et, comme cet intérêt est manifes tement divergent, elle n'en est que plus difficile à régler d'une façon satisfaisante. La meilleure preuve, c'est que, depuis quelques années, on a pu enregistrer sur la matière presque autant de circulaires ministérielles qu'au sujet de l'hygiène dégroupés, ce qui est tout dire 1 On en compte deux en 1888, deux en 1891, une en 1892, une en 1894, sans compter celle que vient de signer à son tour le général Zurlinden et qui abroge toutes les autres, en s'efforçant de les « codifier ». Mais était-il vraiment besoin de tant de réglementation ? On est bien obligé de répondre affirmativement, si l'on veut tenir compte des habitudes prises de vieille date, lesquelles sont, sans contre dit, de fort mauvaises habitudes. Elles re montent à l'époque des armées de métier et du service à long terme. En ce temps là, le soldat, restant sept ans sous les dra peaux et ne recevant guère qu'une in struction mécanique, jouissait de très nombreux loisirs ; et, comme il se recru tait à peu près exclusivement dans les rangs inférieurs de la société, volontiers Il utilisait ces loisirs en contribuant, le cas échéant, aux divertissements de ses concitoyens sous diverses formes, ce que personne ne songeait à trouver mauvais. Organisait-on quelque part un de ces cortèges, une de ces cavalcades histori ques ou grotesques dont la province a toujours raffolé ? Vite, on s'adressait au commandant du régiment stationné dans la localité pour en obtenir l'autorisation, très rarement refusée, de recruter des « personnages » à bon marché parmi les hommes de troupe. D'autres fois, et lors qu'on avait le bonheur de posséder une garnison de cavalerie, on « corsait » le programme de la fête par un beau car rousel, spectacle toujours fort goûté dans le pays des tournois. Cela n'arrivait pas tous les jours, sans doute ; mais ce qui se pratiquait couramment et était tout à fait passé dans les mœurs, c'é tait la fourniture régulière, parla troupe, de figurants au théâtre du lieu. Cha que jour de représentation, au « rap port », on commandait la corvée de théâtre comme toutes les autres corvées réglementaires, et c'était « militaire ment », sous les ordres de gradés en nombre approprié, que l'on conduisait dans les coulisses et que l'on ramenait au quartier le personnel de cette figuration obligatoire et à peu près gratuite. Que si quelque engagé volontaire « bien élevé » éprouvait quelque répugnance pour ce genre de... service, il lui était toujours loisible de se faire remplacer, en payant au besoin un camarade. Ainsi tout le monde était content, depuis les officiers, qui trouvaient que, après tout, leurs hommes auraient pu chercher et trouver des distractions d'un ordre moins relevé encore, jusqu'aux impresarii, charmés de pouvoir se procurer à si peu de frais des acteurs auxiliaires soumis à une disci pline inconnue des « professionnels » et difficile à faire accepter par ceux-ci. C'était si simple et si commode que les intéressésnese sont pas aisément résignés au changement de coutumes qui parais sait devoir être l'inévitable corollaire des modifications survenues dans le mode de recrutement etd'instructionde l'armée, aussi bien que dans son organisation et surtout dans son caractère. Les directeurs de théâtre ont fait valoir qu'ils conti nuaient d'accorder aux officiers,sous-offi ciers et soldats des réductions assez im portantes sur le prix des places pour qu'on les indemnisât jusqu'à un cer tain point par la diminution des dé penses de figuration. Les villes, de leur côté, n'ont pas manqué d'invoquer les sacrifices, souvent fort lourds, qu'elles se sont imposés pour la création de casernements nouveaux ou l'agrandis sement des anciens : n'est-ce pas le moins qu'on les en dédommage en permettant aux soldats de concourir à l'amusement de leurs hôtes —et en les y forçant au besoin? Bref, aucun ministre n'a osé rompre carrément avec des errements...
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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