Extrait du journal

Congédiés par les mines, refoulés vers des frontières gui se ferment devant eux, beau coup de nos Russes des villes se tournent vers les coins perdus où, peut-être, on les oubliera. Sur ce qu'ils y ont fait déjà et peuvent encore y faire, un journaliste russe, M. André Sédykh, a fait une enquête dans les Dernières Nouvelles (russes), de Paris. Cette enquête, M. Sédykh l'avait déjà faite en 1927, mais dans des circonstances tout à fait différentes. En ce temps, tout travail leur était accueilli à la campagne, même s'il n'en connaissait rien; celui qui avait quelque pratique pouvait compter sur des gages éle vés; au bout de deux ou trois ans, il avait chance de passer métayer, fermier, voire pro priétaire; même alors, les lopins de terre abandonnée n'étaient pas chers. Ils le sont encore moins aujourd'hui, mais qu'importe leur prix si celui des produits ne permet pas d'espérer qu'on rentrera dans ses frais et qu'en attendant on vivra ? Et comment se préparer à la tâche alors qu'on n'accepte plus de novice, dans les fermes, que pour le vivre et le couvert qui ne sont pas les seuls besoins de l'existence ? Intellectuel, ex-fonctionnaire, ex-officier, le réfugié russe a peut-être eu jadis un bien foncier, mais il n'y mettait pas la main à la pâte; devenu chauffeur, ouvrier, manoeuvre, mineur, il s'est fait au travail dur, mais non à celui des champs, et d'autre part l'écono mie n'est pas sa vertu dominante. Il arrive pourtant qu'à force de privations, le Russe surtout l'homme du peuple ait quelque chose devant lui; « les Français nous ont appris à compter », dit un Cosaque mis en scène par M. Sédykh. Ailleurs, il nous mon tre un couple qui cherche une ferme : « Mais il faut de l'argent, leur répond l'agent agri cole ; autrement les dettes vous mangeront », La femme regarde son mari, le mari regarde sa femme, et finalement il extrait de son veston minable un paquet de 10.000 francs. Les voilà enfin sur leur terre; plus de sirène d'usine ! Mais il faut se lever encore plus tôt, et très vite les difficultés commen cent, partie par la dureté des temps, partie par inexpérience. A cet égard encore l'hom me du peuple est en moins mauvais cas que l'intellectuel; il a vécu de la terre et n'a besoin pour s'y remettre que de s'adapter à des méthodes plus minutieuses que celles de là-bas. Mais, pour tous, il y a d'autres obs tacles. D'abord l'instinct migrateur de la race; si son coin de terre ne lui donne pas très vite ce qu'il en attendait, notre colon sera tenté d'en chercher un autre, puis un autre, et finalement ce sera le retour à l'usine par chance ! ou le travail de rencontre, le chômage, l'asile de nuit, pis encore. Autre défaut, non moins dangereux; c'est le goût national de la large hospitalité. Surtout dans nos départements de la Garonne le Russe a des voisins russes; il faut causer avec eux, et devant une table bien garnie. Ce sont donc, à chaque fête du calendrier russe ou même français, des réceptions auxquelles ne suffisent pas lps produits de la ferme; de la ville arrivent conserves, gâteaux, vins sur tout, et c'est ruineux. M. Sédykh note pour tant que, depuis 1927 il a constaté un cer tain rétréciss'ement de la « large nature » des Russes; l'ambiance a déteint sur eux. Avec les Français eux-mêmes, il semble qu'en général les rappbrts ne soient pas mauvais; comme au temps de notre hégémo nie spirituelle en Russie; il y a « communi cation facile » entre les esprits et même entre les caractères. Mais cette communica tion commence aujourd'hui à un niveau...