Extrait du journal

Il est ridicule et charmant, le petit train normand; ridicule de façon un peu tou chante comme qui n'est plus adapté à son cadre ou à son temps, et charmant comme le deviennent, pour cette désuétude et cette inadaptation, des objets ou des êtres en qui se survit le passé. Mais qu'on ne s'y méprenne point! Ce n'est pas un quelconque déraillard dépar temental. C'est un vrai train, quoique petit, un vrai petit train. A travers les champs d'or, dans la gloire du crépuscule, il passe, important et disproportionné. De toute sa vapeur, il fonce sur sa voie, pour les sept kilomètres de son parcours qu'il dévore en quinze minutes. 11 fait beaucoup plus de bruit qu'un rapide, parce que l'écartement de ses essieux est court, et que ses vieux rails le sont aussi; à trente à l'heure, le choc précipité de ses roues aux passages des joints scande dans le crâne résonnant du voyageur une cadence inaccoutumée, évocatrice d'une vitesse qui, dans un grand train, donnerait le vertige. Il est né du caprice d'une municipalité vertueuse qui jadis, du temps que l'on construisait la grande ligne de Paris, en refusa le passage à proximité de la ville. La grande ligne traversa donc seulement les villages voisins, et la ville n'eut plus qu'à se laisser mourir tout doucement de son refus. Tout de même, pour le principe, les gens avaient tenu à être reliés à la grande ligne : d'où le petit train. Mais...