Extrait du journal

BARBE BLEUE I! y avait, au temps de Jeanne d'Arc, un jeune seigneur, qui semblait fait pour plaire : sa mine était belle, ses gestes gracieux, son es prit vif. Il avait de l'enjouement. Il descendait des plus grandes famillesde l'Ouestdu royaume. Il avait été, de Chinon à'Paris, le dévoué com pagnon de la libératrice d'Orléans. A Reims, à ses côtés, il avait été fait maréchal de France, 'avant d'atteindre vingt-six ans. IL était encore plus riche que brave. 11 avait doublé sa fortune par son mariage. Une partie des châteaux situés aux confins de l'Anjou, de la Bretagne et du Poitou étaient à lui : Machecoul, la Suze, Ohantocé, Tiffauges, la baronnie de Rais et bien d'autres. On l'appelait Gilles, sire de Rais. Il avait des psautiers et de beaux manuscrits enluminés d'azur, de carmin et d'or; il lisait Suétone, Ovide, la Cité de Dieu et Valère Maxime. Il faisait dresser des théâtres où l'on jouait des mystères, des farces et des moralités. 11 était amoureux de musique, il avait des orgues et une chapelle renommée. Il adorait le faste, les tentures en cuir de Cordoue, les tapisseries de Flandre, les tapis de Perse, les reliquaires, la vaisselle d'or et d'argent. Mais il n'avait jamais su commander à ses désirs. Il emprunta follement et fut interdit. Il eut l'idée de demander leurs secrets à l'alchimie et à la magie, parce qu'elles lui promettaient savoir, puissance et richesse ; il s'entoura de nécro mants. Il connut l'art d'évoquer les démons, qui en seignent les trésors cachés. Or, les démons sont fantasques et inexacts, exigeants et boudeurs. Pour se les gagner, il leur sacrifia des petits enfants. On lui en amena près de deux cents. Il les faisait saisir aux champs et sur le chemin de de l'école, dans la rue, où ils prenaient leur ébat, et à la porte du château, quand ils deman daient l'aumône. Il les caressait, puis les étran glait, les décapitait, leur brisait les reins ou leur ouvrait les veines. "Il s'asseyait sur leurs pauvres corps agonisants : avec délices, il les regardait mourir. Il offrait au démon leur cœur, leurs yeux, leurs bras, leur sang. Il brûlait le reste sur des fagots de bois très sec. Gilles de Rais fut arrêté ; il avoua tout et se repentit ; le...