Extrait du journal

C’est celle du kiosque! •—)X( Elle avilit vingt-deux ans. Elle était brune avec de beaux yeux noirs ; portait bien la toilette, s’habil lait comme toutes les jeunes filles de son Age et de sa condition ; à part ses vingt-deux ans, elle n’avait rien d’ex traordinaire. Intelligence très moyenne. Son père et sa mère étaient de braves gens. L’éducation de leur fille ne 'les préoccupait pas beaucoup. Elle avait cueilli avec beaucoup de peine son brevet élémentaire et ses bons parents pensaient volontiers qu’une jeune fille munie d’un brevet même élé mentaire, possède de ce fait toutes les qualités, et détient toutes les perfec tions auxquelles une femme a le droit de prétendre. Aussi, tout lui était permis dans la maison. Elle pouvait commander sa mère, faire des observations à son père, émet tre des idées qui n’étaient pas celles de tout le monde ; plus ses idées étaient extravagantes, plus son auguste père tombait en admiration devant son phé nomène de fille. A partir de quinze ans, elle ne connut plus de lois que ses caprices. 11 fallait presque lui parler avec dé férence, et éviter de ne pas la contra rier. Elle avait sur la religion et sur la morale son opinion déjà faite. Les phrases creuses de ses manuels étaient ancrées dans son cerveau, sous forme de vérités indiscutables. Et qui donc, chez elle, aurait osé mettre en doute la plus petite de ses affirmations ? Le père ? En avait-il le temps ? Et puis, ça ne le regardait pas. Ut mère ? Elle n’était pas de taille à sc lancer dans une discussion avec sa* fille. Et puis, ce n’était pas la peine. A quoi bon contrarier cette enfant ? Elle avait des idées un peu bizarres, mais elle accompagnait volontiers sa mère à l’église. Donc, c’était parfait. Que pouvaient bien faire sur son es prit les lectures qui lui prenaient des heures entières. Sa mère le savait, qu’elle lisait beaucoup ; mais c’était pour s’instruire. Au reste, elle n’étu diait que ses manuels. Oh ! là là ! Quelle douce confiance, parents naïfs! * * * Vlan ! un beau jour, il fut question de mariage. Un mariage à la vapeur. Quand on a son brevet élémentaire on n’est pas tenu à réfléchir longuement sur les qualités ou les défauts possibles de son futur. D’un seul coup d’œil, le passé, le présent, l’avenir, on les voit comme la lumière on plein jour. C’est comme ça, quand on est savant ! Quand on l'est beaucoup on ne va pas si vite ! * * — Mais vous savez, je ne tiens pas à me marier à l’église ! — Comment ? — Qu’cst-ce que tu dis ? Le père et la mère n’en croyaient pas leurs oreilles. — Répète ? — Mo marier à l'église, bah ! mes idées ne sont pas là ! — C’est de la folie ! — Non, père, c’est de la raison ! — Tu ne feras pas une chose sem blable, dit la mère sur un ton suppliant. — Où as-tu pris ces idées-là ? — Peu importe, ce sont mes idées ! —Oh ! non, jamais de la vie ; ce n’est pas ainsi que nous t’avons élevée. — Au fait, quand m’avez-vous parlé de religion ? — On t’a laissé toute liberté, c’est entendu, réplique le père, mais nous pensions que tu saurais en user mieux. * * * Lorsqu'ils furent seuls, les malheu reux parents se demandèrent anxieuse ment qui avait fait naître ces idées-là dans le cerveau de leur enfant. Les fréquentations ? Ils les connais saient fort bien ; les savaient irrépro chables. Elle ne sortait jamais seule. — Si nous interrogions la femme de ménage... — Amélie ! — Monsieur ! — Dites, vous ôtes de la maison, nous...