Extrait du journal

Le 'bureau de la sacristie. Dix personnes attendent, appartenant à toutes les classes de la société. Entre une dame très fourrurée et une petite artiste, j'aperçois une forte tête de Montmartre, ouvrier habile, remuant, mangeur réputé de curés. ; Malgré les protestations de la dame, je donne à l’homme un tour de faveur. Que me veut-il.. ? Quand une personne inconnue entre dans mon bureau, quel que soit son âge, son sexe, sa fourrure ou son) paletot ■limé, je m’attends à tout. Viënt-elle me dire : « Je voudrais entrer en religion», ou : « J© vous apporte 20 francs pour vos écoles » ou : « J’ai coupé ma femme en morceaux et je suis très embar rassé... » ou : « Vous ne pourriez pas me prêter cent sous... je vous les ren drai sûrement demain à la première heure.. ? » . , Lui ne venait pour rien de tout cela. Sa figure rude était barrée par un pli de souffrance, sa main tortillait sa moustache ; je le sentais évidemment gêné. ’ — Vous venez me voir pour.. ? — Par rapport .à ma mère... Et, brusquement, il s’écroula sur une chaise, et se mit à pleurer. — Elle est malade.. ? lui dis-je. — Très malade ! — Si je puis quelque chose.. ? B se leva, me «regarda de l’air d’un homme qui va se livrer. — Voilà... ma mère... quoi, c’est ma mère !.. La pauvre femme, elle en a eu de la misère avec nous tous !.. Elle m’a soigné toute ma vie, et moi je ne peux même pas lui rendre la pareille à la fin de la sienne, car je travaille toute la journée. Alors... c’est l’hôpital !.. Elle ne veut pas aller à l’hôpital..: et moi non plus, je ne veux pas qu’elle y aille !.. — Pourtant... il y a de bons médecins, des médicaments authentiques... des soins... fAssistance publique est très riche..? . — Serait-elle encore plus riclie, mi mère ne veut pas. — Pourquoi, au juste.. ? — Je vais vous le dire : ma mère, c’est une sainte femme... elle a l’habitude de venir tous les jours à l’église... vous devez même la connaître.. ? C’est une petite vieille avec une mantille noire... Elle se met toujours à gauche, devant la chapelle où il y a un menuisier sur son établi..? — Oui., je vois. — Pauvre maman !.. Alors, vous com prenez... l’hôpital, c’est l’hôpital... c’est la cité de misère. Mais quand il y a des Sœurs, alors c’est plus l’hôpital, c’est ja famille... Ainsi, moi, j’ai été soigné à Soissons, pendant la guerre, à l’hôpital militaire. B y avait une grande Sœur... attendez.. ? elle s’appelait.. « Sœur ser gent-fourrier... » — Ça doit être « Saint-Pierre Fourier ». — C’est ça, vous avez raison ! Cette Sœur-là, c’était pas une mère, c’était une maman ; elle nous aurait fait passer par un trou de souris. Elle avait une manière de nous dire « mes enfants !.. » qui nous chavirait le cœur... Enfin, s’il y a des Sœurs, ma mère accepte et s’en va contente. Aussi, je viens vous demander un petit mot de recommandation pour •i’hôpital Bon-Secours.. ? Un instant, j’ai fixé cet homme. J’avais l’impression de toucher le fond de l’âme populaire qui crie avec les loups et qui, seule à seule avec une autre âme, et quand il s'agit des siens, se fond de tendresse devant les incarna* lions de la charité. Je me suis assis à mon bureau et, sur une carte, je lui ai écrit pour les chères Augustines le mot qu’il me demandait. fi l’a emporté content, sûr main tenant de l’avenir. Sa confiance me fit même peur. — Vous savez, je ne suis pas certain qu’il y aura de la place.. ? Mais la foi de l’homme dans la toutepuissance de la charité était devenue invincible. — J’irai moi-même... je verrai la Sœur... S’il le faut, je payerai tout ce que je pourrai— On sait bien comme la vie est chère aujourd’hui. — Mais non... on ne vous demandera probablement rien... — Ce que je veux, c’est que la pauvre vieille, elle se sente dans son atmo sphère... qu’elle puisse dire spn pauvre chapelet... qu’elle ne soit pas obligée de faire un billet pour voir l’aumônier... et s’il faut qu’elle meure, qu’elle puisse embrasser son bon Dieu sans qu’un ri golo se f... d’elle jusqu’au bord de la tombe... Vous comprenez.. ? # . * ; Si je comprenais !.. En ai-je fait de ces mots de recom-r mandation pour l’hôpital Bon-Secours. Quelquefois j’en étais comme hon teux, j’avais l’impression d’abuser. Mais « Bon-Secours » a toujours jus tifié son nom simple et doux... nom d’hu manité et de charité... nom maternel qui évoque un sourire et deux bras tendus... nom oui rappelle Ja foi du « Souvenez-...