Extrait du journal

... Et dans le caveau sonore, les planches du cercueil éclatèrent; tout droit, comme jadis Lazare, le mort se souleva... C’était un beau eas, à l’uniforme terni, aux ors fouillés, au képi posé à l’alsacienne, sur le côté de la tête; et on eût dit, tant il paraissait passé, que son. vêtement était mon, lui aussi. On l’avait enterré là, au fond du cime tière, comme on l’avait ramassé, un soir, à Champigny, le crâne troué d’une balle, laissant couler la cervelle sur la terre gelée, les yeux très bleus, souriant toujours a son espoir, et dans le pli du drapeau on l’avait couché au cercueil pour toujours! Mais de l’éternité, en cette semaine des Morts, et en ce mois anniversaire de là bataille, il avait rêvé revenir, ici-bas, quelques heures seulement... pour voir! Et Dieu,lui permettaitee jourterrestre, comme il permet tant de choses, car il faut de l’ombre à la lumière... car il est nécessaire que la main tendue se referme parfois sur le néant de son désir, et que notre expé rience s’élève sur les débris douloureux de nos illusions : Tu veux aller... Val... » Il était donc parti des profondeurs bleues oû habitent les élus, et, comme on retourne au pay^.de misère parce qu’il est « le pays », il était redescendu sur cette terre en nos jours de deuil, où il semble que la barrière soit levée entre les mondes, ét qu’on passe avec moins de peine d’ici à l’au-aelà. C’était l’heure vague de novembre qu’on appèlle, dans son village d’Alsace, « entre chien et loup », l’heure grise, qui n’est plus le jour et pas encore la nuit. Dans le cimetière, des ombres erraient : femmes en deuil aux yeux tirés, au visage pâli, aux longs voiles de crêpe; enfants en noir qui marchaient sans rien dire, en tenant leurs mères, comme s’ils avaient peur qu’elles ne partent, elles aussi. Le soldat se reconnut et descendit l’allée. Comme l’apparence restait bien toujours la même!., identique expression de lamême foi et de la même douleur; partout, le silence, à peine troublé, par ae sourdes pelletées de terre... les feuilles mortes tom bant sur les grilles rouillées des caveaux et les toits blancs des chapelles... les tombes, succédant aux tombes, comme les jours succèdent aux jours. Pourtant, là-bas, dans l’ombre augmen tante, et s’élevant au milieu du carré clair que forme le terre-plein du cimetière, il croit distinguer... il distingue sur une co lonne une forme étrange qu’il ne connaît pas..? Ce n’est plus la Croix, sentinelle inlassable, étendant ses deux bras sur la cité des morts... c’est quoi, au juste.. ? Plus il avanceetmoinsil comprend...Quelle peut donc être cettechose qui trône là-haut, dominant tout; sur sa stèle de marbre.. ? divinité antique..? magot hindou..? mais non... on dirait un vase.., un pot..l — Dites donc, garde., quel est ce pou? — Quel pot,.? — ... Mais là-haut..? en si bonne place., on a même mis une serviette dessus !.. — Est-ce que je sais, moi!., c’est le pot du cimetière.. — Et la croix..? — La çroix..? quoi ça, la croix II. Et le gardien s'en va, avec le geste d’un homme qu’on assomme de questions stupides* Sur le boulevard, c’est la fête. .T Les uns après les autres, les lampions s’allument; magasins, places publiques, tout resplendit au milieu des passants qui. circulent; les journaux illustrés jettent la note étincelante de leurs couleurs criardes, et sur eux, des yeux avides sont rivés, hyp notisés... chaque kiosque a sa couronne de têtes qui se penchent pour voir. Il se penche lui aussi— Pouah!., pas même la trêve des morts !. Mais voici un jeune soldat qui passe, et la rencontre lui fait plaisir, bien que ce bleu marche plus mal qu’un pékin; l’officier s’arrange même pour se faire saluer, un mauvais salut, jeté comme à regret par la peur de la boite....