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La Croix, 11 juin 1919

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La Croix
11 juin 1919


Extrait du journal

Nous avons commencé, depuis quel ques semaines, à publier chaqus jour, dans la Croix, le cours du « change » avec les principaux pays. Cette inno vation était devenue nécessaire, non pour tous les lecteurs sans doute, mais pour tous ceux d’entre eux qui ont des payements d’argent à faire à l’étran ger. Ces derniers mois, en effet, le cours du change entre la France et les pays étrangers a subi une commotion pro fonde. Il y a là, pour le crédit français, une sorte d’étranglement, auquel nous étions très loin d’être habitués. Expliquons, pour les lecteurs moins au courant de ces questions, qu’il y a lieu à « change » toutes les fois que d’un pays on fait un payement dans un autre. Si le pays qui paye est dans son ensemble créancier de l’autre, son argent y a une valeur plus grande. La raison en est facile à comprendre ; le pays qui doit recherchant l’argent de l’autre (sous quelque forme que cet argent existe) pour s’acquitter de sa dette. Si, au contraire, le pays qui paye est dans son ensemble débiteur de l’autre, son , argent y a une valeur moindre, parce que, étant débiteur, il est contraint de rechercher l’argent de l’autre (sous une forme quelconque), afin de se libérer. En fait, l’ensemble des échanges se fait par des « lettres de change » et non en monnaie. Ce sont ces lettres de change, plus ou moins recherchées, qui sont l’objet de ce tarifage. D’autres circonstances, sans doute, influent sur les cours du change. Nous venons d’indiquer le principe essentiel. Avant la guerre, le change était très généralement favorable à la France, parce que celle-ci étant riche et ayant prêté beaucoup (trop même) à l’étran ger, à nos exportations que celui-ci devait nous payer, s’ajoutaient les cou pons de nos valeurs étrangères, et les dépenses auxquelles se livraient, à Paris dans nos villes d’eaux, nos hôtes de toutes les parties du monde. S’il nous manquait' des remises sur quelque capitale «pour compenser , les payements que nous avions à y faire, les banquiers de cette nation nous ouvraient des crédits avec empresse ment : ils étaient certains d’être rem boursés par les lettres de change que nous tirions sur nos débiteurs étran gers. Loin d’avoir à verser de l’or, c’est nous qui en recevions. Ce fait, tout à fait favorable, est connu de tous. A l’heure présente, la situation est complètement renversée à notre détri ment. Nous avons, pendant la guerre, contracté plus de 25 milliards de dettes à l’étranger. Notre industrie, absorbée ou ruinée par la guerre, ne peut expor ter que très peu de produits et, par con séquent, l’étranger n’a que peu de chose à nous payer. Les coupons que mainte nation étrangère devrait nous acquitter sont frappés de suspense de paye ment. Bref, nous devons à l’étranger et l’étranger nous paye peu de chose. Né cessairement, le change devait nous devenir défavorable, et il l’est devenu. Quand un Français, à l’heure présente, veut payer 1000 francs aü dehors, il est obligé de verser 1050,1100, 1150 francs, selon le cours du jour que nous publions quotidiennement en la forme usitée, dont le sens est connu de tous les intéressés. Il s’est même, par suite de combinai sons financières parfois fort immorales, produit des faits vraiment scandaleux. C’est ainsi que lorsque, pendant la guerre, la France se faisait le banquier bénévole de la Grèce et lui avançait l’argent par centaines de millions, nous devions a ces générosités même ajouter un change assez lourd, pour que les lois de l’offre et de la demande jouent par-dessus la tête des diplomates. Nous ne disons pas que le gouverne ment n’ait rien fait pour améliorer la situation. Des mesures excellentes ont été prises vis-à-vis de divers pays. Mais il y a eu des fautes, des lacunes, des spé culations éhontées imprévues. Il y a eu surtout une situation d’ensemble plus forte que toute volonté et défavorable. Il en résulte que la France, habituée dans le passé à avoir un change excel lent, a maintenant un change mauvais. C’est une des raisons pour lesquelles, depuis deux ans, nous avons invité sou vent les amateurs de surenchère à réflé chir aux conséquences du gaspillage, en partie nécessaire, mais en partie évi table, des milliards français. Il serait, à l’heure présente, fort inu tile de récriminer sur le passé. Mais il faut regarder en face l’avenir. L’avenir, au point de vue financier, dépendra pour nous, pendant longtemps, de l’étranger. Il faut avoir le courage de le reconnaître, bien que'cela soit pénibie et contrariant Pourquoi donc n’avoir pas le courage de la vérité ? « Nous ne sommes pas seuls », dit volontiers M. Clemenceau. Il n’est que trop certain que nous ne pouvons pas nous passer des autres. Nous écrivions ici naguère que nous aurions besoin que les Etats-Unis et l’Angleterre se constituent nos banquiers généreux par gratitude. Nous ajoutions que les services que nous avons rendus aux Etats-Unis, au xvim* sièple, à l’An gleterre en la préservant de riovasion...

À propos

La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.

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