Extrait du journal
Je suis allé rendre sa visite à M. Ho mais. Après son brusque départ d’il y a huit jours, je m’attendais un peu à trouver porte close. J’avais déjà préparé ma carte cornée. Le grand homme m’attendait, au con traire, et, manifestement, il s’était armé pour le combat, pour la revanche. Les hors-d’œuvre du nouvel an, de la pluie et du beau temps, vite expédiés, M. Homais fit une pause. Son silence, grave et solennel, semblait vouloir dire : Tirez donc le premier, Monsieur. Je préférai le laisser venir. Cela ne tarda guère : — Vous m’avez pris un peu au dé pourvu, l’autre semaine avec vos statis tiques. Je ne discuterai pas vos chif fres. Mais t les faits sont la. les faits, Monsieur ! Avouez que la fouie vous abandonne, que le peuple, émancipé de tous les préjugés, tourne le dos à l’Eglise, que la démocratie vous ignore, ce qui est pire encore que de haïr. — Ce que vous dites là est discutable, répondis-je, au moins pour le moment présent Depuis longtemps, en effet, la question religieuse n’avait comme au jourd’hui préoccupé les foules. Voyez les journaux ; la moitié de leurs articles roule sur les personnes et les choses d’Eglise. Ont-ils jamais autant parlé du Pape, des évêques, des curés et des ca tholiques que depuis la séparation ? Ces hommes qu’on « ignore » ne peuvent remuer le doigt sans exciter la curiosité publique. Tout le monde s’occupe et parle des questions sociales ; mais qu’un arche vêque vienne à lancer vingt lignes sur l’une d’elles, aussitôt toute la presse, la presse ennemie plus vite encore que la presse amie, se rue en informations, en commentaires et en interviews. Toute l’agitation d’un citoyen Bousquet s’efface devant ce simple geste épiscopal. Chaque jour il y a des centaines d’hommes qui se livrent à des opérations financières plus ou moins malheureuses. On en parle à peine. Mais si un pauvre petit curé du fond de la Bourgogne met imprudemment le doigt dans une sotte spéculation, la meute des reporters se précipite en campagne. Grosse affaire que cette petite affaire vulgaire, du mo ment qu’il s’agit d’un curé. Et autour de la mort du roi des Belges, quelle coulée d’encre ! Léopold II eût été' assassiné comme naguère le roi du Por tugal qu’on n’en eût pas tant parlé. Mais comment a-t-il pu recevoir les derniers sacrements ? Etait-il marié religieuse ment ? Où ? Gomment ? Questions passionnantes, questions religieuses. * Et- partout, au Parlement, dans les cou loirs, dans la rue, dans les ateliers, au tour des zincs, là'controverse religieuse est à l’ordre du jour. Vous-même, Monsieur Homais..... — Sans doute, je ne nie pas. Mais pour en revenir à mon point de départ, vous avouerez que le peuple ne croit plus et ne pratique plus. — Quand cela serait, qu’est-ce que cela prouverait ? Cet abandon de la reli gion est-il une conséquence d’une plus grande connaissance de cette religion ? Est-ce pour avoir étudié davantage son catéchisme, pour avoir approfondi nos dogmes, que le peuple s’en détourne ? Non. Grâce à la laïque, il ignore plus que jamais la religion. Il sait peut-être un peu mieux le contre, il ne sait plus le pour. Cette désertion n’est pas le triomphe de l’instruction, mais celui de l’ignorance. Dès lors, que valent, comme preuve, ces défections, fussent-elles aussi nom breuses que vous le pensez et le souhai tez ? Est-ce que mille ignorants pèsent autant qu’un savant? Depuis quand la vérité se décrète-t-elle à coups de majo rité ? Elle avait la majorité naguère, presque l’unanimité, quand tout le monde savait son catéchisme ; serait-elle devenue l’erreur parce qu’elle aurait la majorité contre elle, et une majorité qui ne la connaît plus ? Une seule conversion, réfléchie, rai sonnée, désintéressée, est mille fois plus probante que mille défections incon scientes, irréfléchies, déterminées par l'entraînement des passions, par le res pect humain, par des préjugés ou une ignorance insouciante. Tenez, par exemple, M. Brunetière Ici M. Homais eut un magnifique geste de protestation : — Non, s’écria-t-il, ne me parlez pas de cet homme-là ! Un misérable qui a osé blasphémer la science et parler de sa banqueroute 1 — Permettez. M. Brunetière n’a mé connu ni contesté aucun progrès de la science. Mais il a dit que lorsque la science, sortant de son domaine propre, prétend solutionner tous les jyoblèmes de la vie et remplacer la religion, « elle a, pour le moment et pour longtemps encore, perdu la partie »,...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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