Extrait du journal

t'n matelot, l'autre matin, est accouru me dire : Venez donc vouërre l’épave que la grande marée a jetée à la côte... Pour un morceau, ça c’est un morceau !„ Et pendant qu’en vitesse nous grim pions la falaise, semée d’immortelles et de chardons bleus, mon compagnon ne cessait de répéter sa phrase que le vent déchiquetait : — Ah ! c’est beau à vouërre !.. Ah ! dame, oui !.. " „ «s Beau a voir.. ? De loin... peut-être?.. Au milieu du sable fin inondé de soeil, l’épave, dressée sur sa quille, a l’air d’une fleur gigantesque qui élève vers le ciel ses pétales sinistres, dont l’ombre se découpe à terre en une longue main de Fathma. Mais, vue de près, c’est tout simple ment la ruine d’une belle chose. La mer la rejette couverte d’un monde de ces mollusques spéciaux qui perfo rent les bois les plus durs. Ces bivalves émergent maintenant en spirales hors de leurs coquilles et font à l’immense épave tout un capitonnage vivant, gluant, visqueux, épouvantable à voir. . «f Pipe à la bouche, et les mains dans les poches de leur culotte aux pièces multicolores, les vieux loups de mer de l’île ont déjà identifié l’épave. C’est un souvenir de la guerre, comme il en viendra à nos côtes pendant bien clés années encore... C’est... ce fut un magnifique- voilier américain, tout nouveau modèle, un de ces six-mâts construits en 1910, à cette époque où le charbon se faisait rare dans le monde entier. Il voguait vers Nantes avec un chargement considé rable de barres d’acier, lorsqu’un sousmarin, détruit lui aussi plus tard, le tor pilla par l’avant au large du récif des Bœufs. La mer l’avait gardé cinq suis dans scs abîmes ; elle le rendait aujourd’hui par un joli soleil de septembre, sur une plage de gaieté où jouaient les petits enfants. On l’a vendue, l’épave, la semaine der nière,' vers 2 heures. » Je finissais de- la peindre. Pas beaucoup de monde. Quelques Parisiens' vernis "S tout hasard ; mai» qua faira d’un voilier à six mâts.. ? Finalement, après un débat rapide, il n’est resté en présence qu’un vieux Vendéen, Ml de C..., et le père Geô lier, le sabotier du pays. Signe des temps : avec une suren chère de cent sous, c’est le père Grolier qui a eu l’épave pour cinq cents francs. • . | >Et nous l’entourions tous. — Qu’allez-vous en faire, père Groîier.. ? G’est-y pour des sabots.. ? Mais le père Grolier est un malin qui avait bien étudié son épave eb gardait son idée. Ah 1 dame, oui !.. Rubis sur l’ongle,, il régla les cinq cents francs, plus les frais ; et l’épave res-ta là comme si1 elle devait y rester toujours. [ Les Parisiens , venaient, regardaient, devisaient... — Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir en faire, le papa Grolier.. ? Sûrement, c’est pas pour la mettre sur sa cheminée !. # Un jour, tout de même, le père Grolier réapparut. Il trouva les Parisiens et aussitôt les embaucha, oh !, uniquement pour la gloire... pour leur donner comme qui dirait de l’exercice... Les vacances, c’est fait) pour ça... pas vrai.. ? Et c’est ainsi que j’ai vu, de mes yeux vu, un monsieur en pantalon noir, gilet piqué blanc, jaquette noire, man chettes, etc., enfonçant à coup de masse de fer d’énormes coins dans de plus énormes poutres avec des « han ! ».. de bûcheron. Et après le monsieur en pantalon noir, ce fut un autre en pantalon blanc... C’est tout juste si on ne s’inscrivait pas !.. Et les doigts qui écrivent ces lignes ont frémi du désir de prendre la masse et d’enfoncer, eux aussi, les coins de fer avec un grand « han / ».. bien nature et bien « vacances Quand je vous dis que le père Grolier est un malin... « Le dépeçage commença donc. Je l’ai suivi jour par jour avec un intérêt croissant. Supériorité de la faiblesse sur la force... du bois sur le fer !.. Ce bâtiment, tout en bois, que les flots de l’Océan ont ballotté pendant cinq ans, débarrassé maintenant de sa carapace de coquil lages, émerge presque intact en son armature essentielle. La torpille lui a fait la blessure bru tale où la mer a pénétré, mais les poutres, les traverses de sapin rouge, jointoyées de dur acacia, ne sont pour ries nulle part. Les mollusques seuls les ont comme grêlées. Pour les séparer les unes des autres à grands coups de masse sur les coins de fer, il faut une ténacité, une dépense de force extraordinaire ; et les hommes n’avancent, chaque jour, que très lente ment. Mais surtout, quels constructeurs que ces Américains ! On sent le pays qui ne compte pas ; ce bateau, simple unité dans la flotte commerciale,' est une véri table forêt. Ils ont mis . là des arbres entiers, et quels arbres, et de quelle Ion- , gueur !.. 1 Et à chaque fois que le coin s'enfonce, c'est, au travers du goémon et du va-...