Extrait du journal

C’étaient trois petites « pos tières ». Trois petites, d’une vingtaine d’années..., deux, Parisiennes, et une, provinciale. — Je ne dirai pas ici sa province. Les deux Parisiennes, Aliette et Michelle, étaient blondes... La pro vinciale, Marie, était brunette. Dans le bureau, elles faisaient, toutes les trois, face au public : la provinciale, au guichet du milieu, avec une Parisienne de chaque côté. * Bonnes camarades ; Marie se montrait pourtant un peu plus dis tante, parfois même subitement farouche. Et elle était ainsi, un peu fa rouche, parce que, religieusement, elle ne parlait pas la même langue que ses deux compagnes. Fille d’un père et d’une mère quelconques, la brunette avait été élevée, sans aucune religion, dans une petite ville industrielle empoi sonnée de communisme, et où la foi était regardée comme une vieille chose, moisie, et à jamais périmée. Marie n’avait aucune haine... Elle ne savait pas... pas plus que les génisses qui tondent le pré. Pour les deux Parisiennes, c’était tout différent. Très pieuses, passant par l’église de leur paroisse presque chaque matin, quand elles arrivaient à leur bureau, gris, poussiéreux, usé, elles donnaient une impression de printemps en fleurs... C’était, avec elles, le rayon de soleil qui en trait... Calmes, sereines, bien à leur travail, dans une atmosphère sou vent orageuse, et au milieu de vi sages rivés sur des journaux exci tants, elles ressemblaient à un square de verdure, sur lequel les yeux fatigués se reposent, et où viennent chanter les petits oiseaux. Elles avaient une façon à elles de s’installer..., d’être à leur tra vail, non pas comme à un * sale boulot », mais comme à un moyen pratique de se rendre utiles et de « servir ». La poste, c’était leur secteur..., un secteur providentiel, comme chaque secteur. Elles y faisaient face aimablement, car elles sa vaient que Dieu n’aime pas les longues figures jaunes et les faces revêches. Et puis, les bouches parlent de l’abondance du cœur. Par-dessus la tête de leur brune voisine, elles se jetaient des phrases qui étaient l’expression de leur vie profonde et de leurs préoc cupations de cœur. Elles faisaient allusion à leur paroisse..., à ses œuvres..., à son clergé si dévoué..., aux retraites qui se préparaient!.. Elles pensaient même déjà à leurs vacances. L’une rêvait d’aller à Lourdes... L’autre pensait à Rome... Songez donc !.. 70 % de réduc tion sur les chemins de fer italiens pendant toute l’Année Sainte. Mais comme elles voulaient y aller ensemble, chacune cherchait à faire triompher son point de vue — Voir la Grotte ou apparut la Sainte Vierge et où, chaque année, se produisent tant de miracles ! s’écriait Michelle. — Voir Saint-Pierre de Rome et le Souverain Pontife !.. répondait Aliette... Tout cela, c’était un monde fermé pour la petite provinciale, pas même baptisée. Aussi Marie, la brunette, était triste de toute cette joie qui l’en tourait, sans qu’elle puisse y prendre la moindre part. Les deux Parisiennes s’aper çurent de cette tristesse, et, tout de suite, y compatirent gentiment : — Mais, si vous voulez, on vous emmène.. ? — Je vous ennuierais... — Pas du tout ! — Je ne comprends rien à ce qui vous fait tant plaisir... — On comprend que vous ne compreniez rien. Mais on vous apprendra !.. — Quand on n’a pas été élevée là-dedans !.. — Tout se répare... — Vous croyez.. ? — Nous sommes sûres'!.. Es sayez seulement... « Aliette apporta un catéchisme. Et, entre deux mandats, elle ex pliqua à Marie le péché originel..., la Rédemption..., l’Eucharistie... Michelle se chargea des prières. Le dimanche, elles l’emmenèrent à quelques-uns des beaux offices, comme en ont tant d’églises de Paris pendant le Carême. La petite provinciale vit des foules s’approcher de la sainte Table sans l’ombre de respect humain. Comme par hasard, et sans trop...