Extrait du journal

La France vient d’ouvrir ses ailes.. Barrés. La nuit avait £té chaude malgré la pluie glaciale. On avait laissé des morts et des blessés. Un frère avait perdu son frère d'une balle en plein front : la cervelle remplissait son képi. Et le matin, en sortant du boyau qui des servait la première tranchée, le survivant interpella son chef : — C’est-y pas dimanche aujourd’hui, sergent ? — Oui... c’est dimanche. — Ou ne pourrait pas avoir une messe.. ? Ne serait-ce que pour les camarades qui restent là-bas.. ? Le sergent, qui était curé, s’arrêta et, interrogeant l’horizon morne : — La messe... mais où.. ? # En effet, la question se pose rudement. Le boyau est un patouillis. Tout autour, dos champs inondés que trempe encore plus une petite pluie mono tone et rageuse qui semble devoir tomber ainsi jusqu’à la lin du monde. A cinq cents mètres plus loin, les débris de ce qui fut un village. Et, sur ces débris, des marmites arri vent, fantasques, tantôt lentement, les unes après les autres, Quand les oies s’en vont aux champs... La première marche par devant... tantôt dix à la fois, en ouragan, pilon nant les ruines, retuant les cadavres, fouil lant les décombres... — Le fait est, dit un autre soldat en se grattant la tête sous son képi, je ne sais pas si c’est que je vais être tué, mais j’ai comme faim d’une messe aujourd’hui, et d’autres camarades aussi !.. Pourquoi pas la dire en arrière du village.. ? vous savez bien.. ? dans le groupe scolaire.. ? — Al Ions-y I.. dit le sergent, on verra toujours. Pas gymnastique, en avantmarche !.. * «s Alors, rasant les murs jaunis par les explosions, évitant l’église, nid à obus, en jambant poutres et cheminées, ils traver sent le village. . — Attention... une marmite ! !. — Terre !.. clame le curé... je veux dire le sergent... — Plaquez vos cigares !.. crie un loustic. . La marmite — une énorme — arrive, explose ; nuage de poussière et de fumée... Coût : 500 francs I , La compagnie continue... Voici les der nières maisons... un oharnp.r. puis un autre champ, et enfin, tout battant neuf, l’école laïque des garçons et des filles. Construc tion classique, rez-de-chaussée seulement, tuiles rouges écornées... grandes baies jadis vitrées, buste de la République... Liberté... Egalité... Fraternité. * — Mais c’est superbe! disent les soldats... Vivement, qu’on tape d:ans le tas, on man gera après... En cinq minutes la chaire de l’institu teur devient l’autel... Cendres de Jules Ferry, frémissez !... Deux lanternes en fer-blanc sont les cierges. Les tables des gosses servent de chaises. Un poilu curieux, en furetant dans un tiroir, trouve l’écharpe du maire... Il en entoure l’autel et, artiste, ramène en avant les deux glands d’or roilillé. Le sergent a mis son ornement noir... — un dimanche, ô liturgie 1 — Excuse : il n’en a pas d’autres dans son sac. Et quel ornement I.. plié, froissé, trempé ; sous lui passent le pantalon rouge et les bottes glaiseuses. Ce serait ridicule, si ce n’était splendidement héroïque. # La messe commence... et quelle messe !.. C’est un adjudant qui la sert ; les Boches en sonnent les phases à coups d’obus. Trente hommes en armes, jugulaire au menton, rendent les honneurs; leurs mains raidies se crispent sur les fusils mouillés, et les tendent à Dieu. U y a des soldats qui pleurent. D’autres crient tout haut leurs prières les plus intimes : « Mon Dieu, c’est pas pour moi... c’est pour maman!.. » Au Mémento des vivants, le sergent s’at tarde, la tête dans les mains. On sent qu’il recommande ses hommes qui sont là, les camarades qui les ont relevés, les blessés qui gisent douloureux dans la boue entre les deux tranchées ; et la simple phrase, celle qui contient toute la plainte humaine...