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La Croix, 24 octobre 1911

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La Croix
24 octobre 1911


Extrait du journal

Dans le mouvement de hausse qui sou lève actuellement tous les produits agri coles, la hausse du sucre sollicite au premier chef l’attenti-on, en. raison de son intensité et de ses répercussions Profondes. A la Bourse de commerce de Paris, la cote officielle du sucre roux type commercial a pàssé de 35 francs au milieu de juin à 50 francs- actuellement, le cours de 60 francs a même été atteint au mois de septembre. Ait surplus, toutes les ménagères savent qu’elles payent un franc au minimum, dans les épiceries, le kilo de sucre qui valait 0 fr, 80 il y a trois mois. Quelles sont les causes de cette hausse ? En premier lieu, il faut signaler la sechere se qui a désolé , l’Allemagne, 1 \ ttriche, la France. Le déficit dans la production du sucré est intervenu d’une manière d’autant plus faUieuse qu-e dans le monde entier la consommation du sucre augmente considérablement. La forte récolte de l’ân dernier, qui constituait un record, a été entièrement absorbée. En France, ‘a consommation du sucre augmente régulièrement de 7 pour 100 par an. C’est le résultat de la vulgarisation du bienêtre, du dégrèvement intervenu en 1903 qui a abaissé l’impôt sur le sucre de 64 à 27 francs, enfin de la mode. U eh existe une pour les aliments comme pour les chapeaux. Les médecins qui proscrivent souvent Dusage du pain, du vin, etc,, conseillent beaucoup le sucre. D’autre part, la sécheresse, qui a' réduit la production du sucre, activait en sens inverse sa consommation. On ne se fait aucune idée de ce qu’il a été fabriqué et consommé de boissons à base de sucre, limonades, sirops, pendant l’été 1911. Jamais les fabricants • n’avaient tant travaillé, mis en œuvre tant de sucre. Augmentation intensive de la de mande, diminution de l’offre, telles ont été les causes décisives de la hausse du sucre. A leur action est venue s’ajouter la spéculation.. Nous mettons le com merce tout à fait hors de cause, car la plupart- des épiciers détaillants n-ont sur le sucre qu’un bénéfice très minime de I ou 2 centimes, quelques-uns même le vendent au prix coûtant. Au-dessus de ces gagne-petit, il existe à la Bourse de commerce de Paris des agioteurs qui se livrent sur les marchandises au jeu le plus extravagant. Déjà, au début de cette année, les manœuvres de bascule sur le sucre d’un spéculateur chilien ont fait l’objet à la Chambre d’un débat retentissant. Ces agissements coupables ont été grandement facilités par cette circonstance que le stock actuel aux en trepôts de Paris, est descendu -au-des sous, de toute vraisemblance : il s’est trouvé réduit à 37 000 sacs contre 825 000 l’an dernier à pareille époque. On a pro nonce -à ce sujet le mot d’accaparement. Le mot est un peu gros, car le sucre a un marché mondial, et il faudrait un consortium joliment puissant et riche pour contrôler la -production de l’univers entier. Quoi qu’il en soit, le sucre se fait rare ; de mémoire de marchand de sucre, on n’avait jamais vu sur tous les marchés de stocks aussi réduits ; c’est évidemment un des facteurs les plus efficients de la hausse. L’arrivée de la récolte, qui est imminente, va remédier incessamment à cette situation. Faut-il en conclure qu’elle déterminera logique ment la baisse du sucre ? La question est troublante, parce qu’elle soulève le problème redoutable de l’avenir des cours du sucre, qui sont essentiellement déconcertants. Nous nous contenterons d’exposer loyalement les faits. Le parti à la hausse met en avant l’in suffisance de la récolte, qui sera certai nement en déficit dans toute l’Europe, sauf la -Russie. Mais ce pays, lié par la convention de Bruxelles, ne peut expor ter plus de 200000 tonnes de sucre, quan tité insuffisante pour combler les vides II ne reste donc plus que l’appoint des sucres ' coloniaux, principalement de Cuba, mais on se trouve ainsi à la merci du moindre accident climatérique sur venant dans cette île. Sans adopter un point de vue aussi pessimiste, des renseignés estiment que la hausse a atteint aujourd’hui son point culminant, mais ils. pronostiquent le maintien des cours actuels, qui expri ment assez bien, paraît-il, les difficultés de la situation. Gela n’exclut pas, bien entendu, la possibilité de cascades des cours retentissantes dans un sens comme dans l’autre, car le marché des sucres, surtout cette année, fait preuve d’une nervosité intense. Quant aux baissiers, ils font surtout état de la réduction de la consommation, qui est un élément d’une incalculable portée. Sans avoir appris l’économie politique, les ménagères en appliquent résolument les principes : elles savent par expérience que le meilleur, le seul remède à la hausse d’une denrée, c’est la limitation de sa demande. Ce facteur très important n’a pas encore pu jouer, car la consommation a été quelque peu surprise par la hausse, mais il va main tenant entrer en scène, avec une portée d’autant plus efficace que l’époque des confitures, des vins de sucre est termi née. On ne se fait pas une idée suffi sante dans le public des proportions qu’affectent ces restrictions de consom mation, qui ne sont jamais concertées....

À propos

La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.

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