Extrait du journal
C’est à toi, ma sœur, la Bûche, que je dédie ces lignes de Noël... à toi, aff ublée par les hommes d’un nom ridicule... La bûche î. quand on prononce ce nom, on voit aussitôt un quelconque pêdaleur, l’échine rayée de boue, s’éta lant comme une crêpe mal tournée sur la chaussée gluante. Tandis que la Bûche... la vraie!.. Mais c’est le bras de l'arbre, tendu vers le grand ciel !. (Elle a été iparée de l’argent des lichens ©t de l’émeraude des mousses ; les feuilles d’or de l’automne lui ont fait un royal ■manteau ; les oiseaux se sont reposés sur elle ; et, quand l’heure de mourir fut venue, elle est tombée, avec le grand cri des choses séculaires, sur le sol ou elle avait régné. . , # Jadis, d’avance, on pehsait à toi. Quand on faisait sa provision de bois pour l’hiver, on te mettait amoureüsernent à part : « Celle-là, c’est la bûche de Noël / » Et le bonheur de la fête future semblait gonfler la phrase. On te choisissait, puissante, et serrée, et jolie de forme. Tu avais la mission glorieuse de lutter vingt-quatre heures contre le froid et la nuit... d’être la cha leur du corps comme l’Enfant Jésus serait celle de l’âme. Tu réunissais la famille autour de toi... Tu faisais la cheminée flambante, rougeoyante... la bonne cheminée claire et douce... la cheminée devant laquelle s’amusent les tout petits, ronronne, les yeux mi-clos, le chat, rêvent les vieux... la cheminée où l’on fait les galettes... la cheminée où la flamme semble être une vie... où les cendres parlent des années éteintes... la cheminée, où il fait si bon se blottir pour écouter la grande voix du vent qui hulule dans la nuit... la che minée, où il y a tout le printemps, tout l’été, tout l’automne, tout le mystère, tout le parfum de la forêt !„ 0 Pauvre Bûche, ma sœur ! On t’a mise de côté, il y a un siècle.. Tu étais devenue vieux jeu, et c’était le siècle du progrès. Ce fut la houille qui te remplaça. La houille qui pue !.. La houille qui asphyxie !.. La houille qui évoque la mine, les galeries souterraines que le soleil ne visite jamais... les boyaux des pays noirs, où l’homme, étendu sur le dos, entre tout vivant dans la terre, et arrache, bloc par, bloc, l’aliment industriel ! La houille !.. les coups de grisou qui font ébouler des millions de mètres cubes de terre sur des poi trines humaines, écrasant des cerveaux, broyant des cœurs, faisant accourir au seuil des puits bouchés les femmes éche velées et les enfants eu larmes... * Alors, ô Bûche, on te regretta un peu. Mais comme on avait rasé les forêts... •comme tu te faisais lointaine et chère, alors, ô caractéristique du temps présent, on- se livra à ta contrefaçon... on fit de fausses bûches, des bûches en fonte !.. des bûches avec des petits troua! Puis, dans ces bûches, ô comble !.. cm •mit des tubes de gaz !.. L’ingénieur, avec un sourire, disait : v En faisant passer un petit tuyau dans la cheminée... en surveillant le caout chouc, le robinet et le compteur, vous n’avez pas grand chose à craindre-. Délicieux !.. Et quand on chauffe une heure seu lement nos petits logis de cette manière, alors la migraine abat sa main sèche sur nos crânes, le sang toque à nos tempes, les poumons s’inondent d’acide carbonique. •Et l’on pense à Syveton, à ces mal heureux chiens, arrimés par les experts à ta bûche fatale, la gueule aux petits trous d’où s’échappait le gaz de mort... O poésie de la bûche en fonte ! Ce n’était pas fini. Aujourd’hui, dernière chute, c’est le calorifère... le chauffage central, né dans une cave et dirigé par le concierge ! On rentre chez soi...'Aucun de ces cré pitements, joyeux comme un cri d’en fant... aucune flamme, sautant comme un jeune chien à votre rencontre... On ne voit rien, on n’entend rien... Seulement, l’air chaud, après avoir cir culé dans d’innombrables tuyaux, vous •arrive, fade et usé, au travers d’une grille noire !.. c’est la chaleur morne... presque ta chaleur morte. O Bûche de Noël... bûche que Joseph, le charpentier, l’ami du bois, dut cher cher à travers la nuit pour susciter un sourire dans les yeux de l’Enfant Jésus, et l’habituer à la froide terre... Bûche vivante, éclairante, crépitante, sur laquelle peut-être la Vierge étendit ses mains lasses... tu es le passé, le bon, le calme passé ! Mais, ne désespère pas... on reviendra vers toi. Gar le progrès — le vrai — est un arbre, comme toi tu fus un arbre. De par la loi de la vie. il s’élance et sa déve-...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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