Extrait du journal

Bourges, le 23 février 1801. Qu’est-cc que nous veulent les Alle mands et leur empereur et leur impé ratrice Frédéric, car pour sûr ils nous veulent quelque chose et ce n’est pas sans raison que la veuve du vainqueur de Sedan vient faire à Paris ce voyage mystérieux. S’agit-il tout simplement, comme on l’a dit, d’une négociation restreinte et déterminée, de décider les artistes français à prendre part à l’exposition de Berlin qui sans eux serait un four complet ? Il est possible que ce ne «soit que cela, pour le moment du moins, en attendant que cette première victoire remportée, on obtienne, plus tard, des choses autrement sérieuses de notre éternelle naïveté, de cet incom parable illusionnisme dont se mo quent ensuite ceux qui savent si bien l’exploiter. Sommes-nous enfin les mêmes gogos qui se faisaient tuer pour l’Italie en 59, ouvraient leurs portes aux Allemands et se réjouis saient quand la campagne fou droyante de 1886 venait d’écraser l’Autriche 1 Il est certain que l’un des rêves de l’empereur Guillaume, de son entou rage, de tous les Prussiens encore plus Prussiens qu’Allemands, est de faire de Berlin la capitale intellectuelle de l’Europe centrale, d’éclipser Vienne et de rivaliser avec Paris, en atten dant qu’on arrive à le submerger. 11 y a trente ans Berlin comptait à peine cinq cent mille habitants. Aujourd’hui sa population a plus que triplé. Mais à cette capitale naissante il manque le grand souffle des arts, le goût, l’élégance, le va-et-vient du monde entier qui accourt à Paris en contempler les merveilles. On se rend à Berlin pour ses affaires, pour son commerce, pour ses études ; personne n’aura l’idée d’y séjourner dans l’espérance d’y trouver ce rayonne ment de toutes choses qui fait de Paris une ville universelle. 11 y a déjà, dit-on, cinquante peintres français décidés à rendre à Berlin l’immense service de sauver son exposition fort menacée. Leurs confrères d’Allemagne ont décliné l’invitation de la France en 1889. A nos avances, à notre politesse ils ont répondu par une grossièreté. A cette grossièreté, quelques-uns de nos...