Extrait du journal
Le 21 décembre 1911, le trois-mâts norvégien < Carl-Beck », monté par 25 hommes, s’est perdu, corps et biens, sur les rochers de Beg er Vil. Ces rochers se trouvent, à l’extrémité de la presqu’île de Quiberon, sur le flanc de la pointe de Conguel. Le naufrage de ce bateau, dont l’agonie, durant des heures, fut suivie avec quelle angoisse par presque toute la population de Qui beron et de Port-Haliguen, a laissé une impression que rien n’a pu effacer. Longtemps on a vu l’épave, coincée sur les rocs, dégager, à mer basse, une par tie de sa coque, des barres de fer tor dues, des chaînes pendantes. Et puis, les goémons, abondants à cet endroit, se sont enchevêtrés sur elle. Des moules ont fixé partout leurs coquilles bleues. Le support s’est fatigué. La rouille, les houles d’équinoxe ont désagrégé peu à peu cette carcasse fantôme. Chaque été, je la voyais plus réduite que l’an pré cédent. La mer, aujourd’hui, a tout repris. La place est nette. Mais les gens de la côte, eux, se souviennent toujours. En 1912, lorsque je revins à PortHaliguen. Maman Rose me conta la catastrophe. Elle m’ajouta souvent, par la suite, quelque détail oublié. Quand les papillons d’écume de la côte sauvage s’en allaient rejoindre, dans le rude vent de norois, les eaux plus calmes de la Baie, Rose s’arrêtait de tricoter - pour suivre un instant leur vol dans le ciel brouillé. « — Ah ! le vent ! le vent ! disaitelle. Ici. voyez-vous, ce n’est pas de la froidure que nous souffrons en hiver, c'est du vent. Vous ne pouvez vous ima giner combien il est terrible, t’est en vain qu'on s’enferme, qu’on se claque mure dans nos maisons, on l’entend par tout, comme un être vivant, nous cercler de sa plainte. Il devient par moment rageur au point de soulever les graviers du sol pour les jeter, après des tour noiements fantastiques, sur les toitures où ils font un bruit de grêle. C’est à se demander parfois si le « diaoul » n’est pas le vent lui-même ! c La mer, depuis plusieurs jours, était en tempête sur la côte. Une légère accal mie s’était produite et le bateau nor végien avait pu s’approcher de PortMaria. S’il avait pu y entrer complète ment, bien que les lames passaient par dessus les jetées, il aurait sauvé son existence. Pour essayer de s’y crampon ner, il fit tomber ses ancres. Mais la tempête reprit furieusement dans la matinée qui suivit et rien ne put lui résister. C’est à ce moment que le mal heur commença. Le bateau fut rejeté sur la haute mer, et l’équipage étant dans l’impossibilité de relever les ancres, il chassa sur elles et dériva en suivant les courants. « Vous vous rendez compte combien ce ''"bâtiment fatigua, battu par ces lames furieuses, aveuglé par la pluie, avec sa lourde ferraille à la traîne lui assom mant les flancs ? Sans doute cherchat-il à gagner la baie, mais on vit, très rapidement, qu’il n’était plus maître de la manœuvre. Il dressa le fanion d’alarme, mais que pouvions-nous faire de la côte ? « La bourrasque le rejeta à l’est. Il passa devant la plage. Doubla, par quel miracle, la pointe de Vaudré Heul. Passa entre le Four et Beg er Vil et là trouva la barre d’écueils qui s’étend devant le Goviro. « Toujours la fatalité s’en mêle. Le canot de sauvetage du poste de PortMaria ne put jamais être mis à la mer. La foule des pécheurs et des gens de Quiberon suivirent, pas à pas, la mar che du trois-mâts qui s’en allait à la mort. Ils allèrent, sans le quitter des yeux, sur le boulevard, continuèrent par le chemin des Dunes, par Port-Mourvil, et la troupe, dans sa marche lente, s’aug mentait devant chaque maison. D’ail leurs, l’alerte avait été donnée au bourg et le tocsin sonnait au clocher de l’église. C’est ainsi que, assommés par le vent et par l’inquiétude, les pêcheurs du Port-Haliguen rejoignirent ceux qui venaient de Port-Maria. Ils se rassem blèrent sur la dune qui surmonte la plage de Goviro. « Le bateau était là, tout proche, à croire qu’on aurait pu le toucher. La mer avait la couleur de l'absinthe et l’on ne voyait partout, dans des clameurs d’orage et de galets remués, que des écumes s’éparpillant dans le vent après des éclatements de tonnerre. Malgré l'épouvantable vacarme de la tempête qui projetait jusque sur nous qui regar dions ses douches de brouillards, le cra quement du bâtiment se brisant sur les écueils parvint jusqu’à nos oreilles. On l’avait vu monter, descendre, disparaître, se pencher tour à tour sur un flanc puis sur l’autre, mais il vivait encore. Un der nier coup de lame le colla sur les récifs à croire que ceux-ci, en lui perçant la coque, le clouaient du même temps, le fixaient pour mieux le voir mourir. « Nous vîmes alors les hommes qui le montaient courir comme des fous. Quelques-uns s’accrochèrent dans les haubans. Un mât, déjà miné à sa base, s'écroula en entraînant deux matelots. Tous les autres refluèrent vers l’avant en nous faisant de grands gestes. Leurs canots de sauvetage avaient dû être arrachés depuis longtemps, car aucune tentative ne fut faite de ce côté. D’ail leurs, ils n’auraient jamais pu s’en ser vir. La mer était en démence. « Cependant, vous pensez bien que des pêcheurs, des marins, ne regardent pas de sang-froid un pareil spectacle. Mais le sentiment de l’impuissance dominait....
À propos
Fondée en 1893, La Dépêche du Berry était un journal régional suivant une ligne éditoriale de centre-gauche, ou « radicale ». Il paraît jusqu'en 1944.
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