Extrait du journal
Notre confrère Jean Ajalbert, conservateur du Musée de la Malmaison et dont le fils est tombé glorieusement à l’ennemi, a reçu à pro pos d’une enquête qu’il mène sur la façon d’honorer nos morts, une lettre touchante, simple et magnifique d’Edmond Rostand qui fait siens, d’un coup, tous les projets à la gloire des combattants morts pour la Patrie. Nul ne lira sans émotion cette page large ment inspirée : Je pense comme vous, Ajalbert, et qu'aucun de ces noms ne doit être ou blié. Est-ce possible, quand ils sont in nombrables? Oui, à la condition de les disperser, et de n'en vouloir mettre que quelques-uns dans la mémoire de cha que Français. Pas de listes longues, dont on ne lit bientôt que les premières lignes. Mais de courtes strophes de noms, qu'on embrasse d’un coup d'œil et qu'on retient d'un serrement de cœur. Au temple, qu'on ne visite que solennellement, je préfère un laurier tellement effeuillé que chacun en puisse garder quelques feuilles à l'usage de sa religion quotidienne. Un petit groupe de noms, précédé de cette formule : « Sont morts pour nous »... Voilà ce qui de vrait frapper nos yeux à chaque instant. Qui donc a jamais connu les trois cent quatre-vingt-quatre noms inscrits sur l'Arc de Triomphe? Nous ne voulons plus d'interminables nomenclatures gravées hors de la vue, et jeter notre gloire aux hirondelles. Morcelons notre Arc de Triomphe pour que ses frag ments répandus puissent être épelés dans l'humble habitude de la vie. Trois mots qu'on lit chaque jour en passant, on les sait forcément par cœur. Et c'est cela qu'il faut; que chaque Français sa che à jamais par cœur quelques noms, adopte machinalement quelques mémoi res. Il faut que le plus obscur soldat sa che, en tombant, qu'il aura son nom, sur la muraille, à un endroit net et détaché où les yeux pensifs le chercheront, d'où le recevront les yeux distraits. De cette manière, tous les morts sont sûrs de vi vre, puisqu’on ne meurt que lorsque le nom s'efface; et tous les vivants sont sûrs d'être animés par quelques morts, car toute T âme est dans le nom, et lors qu'on dit Psyché le papillon est là. * •je âge Pour moi ce que je préférerais — j'y ai souvent songé — c'est qu'on gravât les noms des héros morts sur toutes les maisons où ils vécurent. Ce serait la façon la plus logique et la plus simple de briser, sur toute la surface du sol, l'immense litanie en brefs « Souvenezvous. » Nos maisons, qui sont signées par ceux qui les ont construites, seraient ainsi contresignées par ceux qui ont em pêché qu'elles ne fussent détruites. El l"architecte chercherait avec amour une place pour le nom du sauveur. Alors de médiocres plâtres rayonneraient; et dé nués d'inscriptions, des marbres se raient moins fiers. Certes, on pourra aussi graver le nom sur la paroi de l'atelier où fréquentait le héros, du bureau où il allait écrire, su* la barrière du champ qu'il labourait sur une dalle du jardin qu'il faisait fleu rir. Mais la maison, la maison d'abordl Qu'il brille au fronton de la porte ou sur la pierre du seuil, le nom de l'habitant qui s'est fait mer pour qu'on puisse con tinuer de sortir et d'entrer! Et chaque fois qu'on sortira ou qu'on entrera, pour le bonheur ou pour le travail, on lira le nom d'un de ceux grâce auxquels on peut encore travailler ou être heureux. Et s'il en est, de ces héros, qui soit * nés à la belle étoile, et qui, n'ayant ja mais dormi sous un toit, se soient fait tuer pour défendre le toit des autreS, que les noms de ceux-là soient imprimés sur la face des plus magnifiques de meures! «‘ SONT MORTS POUR NOUS »... Et que la muraille, en chantant la gloire, se fasse pardonner par le soleil d'avoir hurlé la publicité. Il n'y aura plus de rue qui ne mêle à ses passants des fan tômes obstinés. Nous ne pourrons revi vre qu'après avoir organisé cette obses sion. Nous n'avons plus droit qu'à une vie bourrelée de reconnaissance. Tel est mon sentiment, Ajalbert. Et si glorieuse que soit la Malmaison, je sais de quel nom s'enorgueillira une de ses pierres. Edmond Rostand. De l'Académie Française....
À propos
Lancée en 1862, La France était un quotidien suivant une ligne éditoriale à la fois libérale et favorable au Second Empire. Durant la Commune de Paris, le quotidien publia également une édition départementale imprimée à Tours. En 1874, Émile de Girardin, fondateur de La Presse et grand entrepreneur médiatique également proche d’Adolphe Thiers et de Gambetta, rachète le journal. Sur quatre pages, on y écrit de longs articles, en plusieurs parties, qui s’étendent parfois même sur plusieurs jours.
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