Extrait du journal
(Correspondance particulière de la frange.) Metz, 9 septembre. Mon cher directeur, Metz regorge de monde en ce moment : dans les hôtels pas une place. Tout est ac caparé par une foule d’Allemands, plus Prussiens les uns que les autres. C’est que cette noble et infortunée ville offre un spectacle plus curieux cent fois que les plus intéressants spectacles. Toutes les collines, les vallées qui l’entourent ne sontelles pas changées en cimetière ? Quelle attraction plus grande pour ces braves Teutons que d’aller visiter ces tombes à peine fermées ? Le cadavre attire le corbeau, l’Allemand est un corbeau blond. Tous les matins, il en part une volée qui s’abat à Gravelotte : les routes sont obs truées par les voitures qui so croisent. On rencontre là tous les types également laids de la Germanie. Depuis Gretchen, blonde à faire jaunir les blés, jusqu’au cousin de la landwehr, tout y est. Cela soulève le cœur de voir ces hordes de tudesques se promener dans la sombre vallée de Gravelotie. En vérité, ces gens n’ont rien d’hu main -. la jeune fille fouille délicatement la terre de son ombrelle, le père appuie de son large pied sur la tombe des héroïques morts. La plaine s’étend au loin, entourée de villages perchés sur des hauteurs; presque à chaque pas, le sol se relève; on voit que la terre a été fraîchement remuée; ce sont les cadavres amoncelés qui forment ces bosses du terrain. On peut suivre les péri péties de la lutte. Ici l’action a été peu acharnée : les corps sont espacés ; là, la résistance a été opiniâtre : les tombes se multiplient. Tant que le jour a duré, je me suis tenu à l’écart : il me semblait que ce serait une profanation que de me joindre à ces cu rieux sacrilèges et de fouler d’un pied distrait ces corps à peine refroidis. Le soir venu, tous les Allemands prirent leur vul : le diner attendait. Cette vaste plaine devint alors silen cieuse, nul bruit humain ne troubla plus le repos des morts. Deux fois déjà j’avais parcouru le ravin bordé d’arbres rabougris. D’abord c’était en plein soleil, à l’heure de la mêlée achar née. J’avais vu les régiments sous le feu meurtrier de l’ennemi, j’avais serré la main de cent de ces héros obscurs qui re posent maintenant sous la terre. Le soir de la bataille, je relevais les blessés, et cette nuit, inquiète, troublée par le gémis sement des mourants, m’avait semblé lu gubre. Alors, pourtant, j’étais moins ému qu’en ce moment. C’est que dans tous les cœurs, il y avait l’espérance, c’est qu’au bout de tous cos efforts, de tous ces dévouements, on voyait la victoire assurée. Aujourd’hui tout est morne, et la défaite pèse plus lourdement sur les vivants que la terre sur les morts. Trente mille hommes sont enterrés là pèle-mèle. Rendant bien des mois, après les deux batailles de Gravelotte et de Saint-Vrivat, le terrain avait été à peine remué. Le paysan n’osait s’aventurer de ce côté, carde distance en distance on voyait des mains, des pieds soi tir de terre. Les Prussiens ont depuis réquisitionné des ouvriers, et ils ont creusé des fosses pro fondes. Ne fallait-il pas parer le champ de ba taille pour les parents, les amis qui allaient venir? Cette exhibition dure depuis des mois et elle n’est pas près de finir : toute la Ger manie y passera. Ce spectacle est impie, il met au cœur pour ces barbares une haine farouche; à les voir promener dans ce sanctuaire leur curiosité basse, on se sent je ne sais quel désir de vengeance, on voudrait voir ces fosses assez larges pour contenir toutes ces tètes carrées. Nos vainqueurs nous oui montré pen dant la guerre quel cas ils faisaient do la...
À propos
Lancée en 1862, La France était un quotidien suivant une ligne éditoriale à la fois libérale et favorable au Second Empire. Durant la Commune de Paris, le quotidien publia également une édition départementale imprimée à Tours. En 1874, Émile de Girardin, fondateur de La Presse et grand entrepreneur médiatique également proche d’Adolphe Thiers et de Gambetta, rachète le journal. Sur quatre pages, on y écrit de longs articles, en plusieurs parties, qui s’étendent parfois même sur plusieurs jours.
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