Extrait du journal

Nous aimons les luttes franchement engagées, et, sous ce rapport, la campa gne entreprise par le Journal des Débats, contre la proposition Rivet, ne laisse rien à désirer. Mais si l’attitude et le but de notre éminent confrère ont le mérite d’une netteté sans ambages, il n’en est pas de mémo de son argumentation. La difficulté de fonder la République est la considération prépondérante der rière laquelle se retranche 1 ajournai des Débats. Autant que lui, nous reconnais sons cette difficulté ; nous voyons même que, malheureusement, on la rencontre au même degré, quel que soit le régime vers lequel se tournent les espérances. Mais nous nous demandons, sans trou ver la réponse, en quoi les alternatives et les complications à travers lesquelles la France cherche la voie de son avenir, peuvent être simplifiées par la prolonga tion d'un état de choses dont le résultat le plus clair est de jeter une incertitude permanente de plus, au milieu d’une si-’ tuation déjà si précaire. Nous cherchons, sans le discerner, l’avantage qu'il peut y avoir, pour la solution finale de la ques tion de gouvernement, à laisser le pays sous le coup d’une crainte incessante de voir cette question se poser à l’improviste, par suite d’un vote qui renverse rait brusquement le provisoire. L’effet déjà produit par celte crainte ne démontre guère qu’elle exerce l’heu reuse influence que semble lui attribuer le Journal des Débats. Depuis quelle a été éveillée dans l’esprit public, par les dis sentiments qui ont surgi entre lo chef du pouvoir exécutif et l’Assemblée, nous voyons les affaires se ralentir, le crédit se resserrer, les défiances mutuelles re naître dans les partis, la préoccupation politique reprendre le dessus au détri ment du travail de régénération qui, seul, peut permettre à la France de se relever. Certes, ce n’est pas la persis tance de ce trouble moral qui aidera à fonder la République. Elle n’aiderait pas davantage à fonder la monarchie, car c’est une illusion de croire que tel ou tel régime sera fondé parce qu’un vote parlementaire, sorti d’une heure de désarroi, l’aura procla mé. Toute surprise de ce genre, sous quelque forme quelle se présentât, loin d’être un signal d’apaisement et de con corde, n’aboutirait qu’à nous lancer dans une période nouvelle de déchirements. Le véritable intérêt national est d’en éloigner la possibilité, d’en dissiper jus qu’à l’appréhension. Cette double garantie, le Journal des Débats est trop clairvoyant pour n’en pas reconnaître, comme nous, la néces sité. Il a un sentiment politique trop juste pour ne pas voir aussi que le statu guo n’est plus suffisant pour la donner au pays ébranlé. Lors-donc qu'il insiste pour que rien ne soit changé, il va à l’encontre des conditions de fixité qu’il déclare lui-mème indispensables à une solution efficace du problème de notre gouvernement futur. Cette solution, il faut la réserver à l’a venir ; il faut laisser à la marche des idées et des faits le soin de la préparer et de l’amener. Sur ce point, nous som mes pleinement d’accord avec le Journal des Débats. Mais si le moment présent ne comporte que des essais, ce devient une raison de plus pour continuer jusqu’au bout l’essai commencé delà République. C’est, en même temps, une raison pour l’entourer de toutes les condi tions susceptibles d’en assurer la sincé rité, en réduisant autant que possible la part de l'imprévu et en formant la porte aux aventures....