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La France, 21 juillet 1892

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La France
21 juillet 1892


Extrait du journal

À N losi. — La misère. — Une visite de nuit au volcan. — Spectacle sublime. CATANE, 19 juillet. — L’éruption de l’Etna prend des proportions inquiétantes. Tout ie pays d’alentour est dans la consternation. La nuit dernière, à Nicolosi, les maisons vacil laient, ébranlées sur leurs bases ; les portes et les fenêtres des habitations sont disjointes; les vitres brisées. La misère est affreuse ; les autorités font distribuer des secours journaliers. Eu compagnie d’un de nos confrères de Na ples, nous avons visité, de nuit, l’Etna ; le spectacle est des plus dramatiques. Au volcan A minuit, nous sommes partis de Nicolosi ; quelques instants après, nous arrivons aux Monti-Rossi, deux cimes en pain de sucre, réunies par une cavité, qui se trouvent à quelques cents mètres de Nicolosi ; sur les flancs, on voit encore un ravin que les guides disent être un des cratères de l’éruption de 1669, qui envoya de la lave jusqu’à Catane et à la mer. Les monts sont une masse de lave, de sco ries volcaniques, de cendres, de cailloux dans lesquels les mulets enfoncent jusqu’aux ge noux. Une poussière dense se soulève et nous enveloppe. Nous sommes donc entièrement à la merci de nos conducteurs et de la provi dence. La route suit la ligne de la pente la plus forte ; le fond du sentier est mobile et l’on y enfonce sans trouver de point d'appui : les sa bles descendent le long de la pente, menaçant d’entraîner hommes et moutures. Finalement nous arrivons sur le sommet du cône ; un peu plus loin nous sommes sur une petite plate-forme, d’où l’on peut contempler la scène dans toute sa grandeur. L’éruption Le panorama de l’éruption se développe complètement devant nos yeux ; le cône prin cipal de l’Etna forme le fond du tableau sur lequel se dessinent nettement les bouches éruptives ; celles qui jettent des pierres et des cendres, en arrière, sont surmontées d’un vaste parasol fumeux, rayé de feu, comme entre des nuages et des éclairs sanguins ; puis le cratère qui lance la lave, menaçant, hor rible. La lave a d’abord cette couleur rouge blan châtre des métaux en fusion à température élevée, puis à mesure qu’elle descend, elle prend une couleur d’un rouge brun sanguin de mauvais augure ; elle descend en se préci pitant des deux côtés de Monte-Nero en deux cascades sautillantes et faisant jaillir du feu ; deux cascades fantastiques, infernales. Peu à peu, des vapeurs incandescentes sortent de ces immenses courants et s’élèvent vers le ciel, comme une échappée d’un mil lier de fusées. Bien qu’éloigné de plusieurs kilomètres du lieu où se passe cette scène tragique, la scène est empoignante. Plus bas, la cascade orientale, celle qui alimente le filon qui se dirige vers Nicolosi, va au sud-ouest et se rejoint par une bran che à l’autre ; ainsi le cône de Monte-Nero est vraiment couronné de feu. Le théâtre de l’éruption reste illuminé par la lave, dont le parcours peut très bien être suivi à l’œil nu. A mesure que le torrent de feu descend dans la vallée, un vernis brunâtre en recou vre la superficie, vernis rompu à chaque mo ment par les vapeurs qui en sortent et recou vrent de points lumineux le dos du monstre immense. Sans les points qui guident l’œil, il serait difficile d’apercevoir le chemin de la lave. Son extrême limite est trahie par les incendies des vignes et des Lois, incendies que la lave chasse en avant dans son invasion, comme une armée se fait précéder de la cavalerie. La descente de la lave Le bras de l’ouest continue majestueuse ment sa marche terrible, limité d’un côté par la lave de 1886. La lave s’étend en avant à travers les châ taigniers, les vignes et le monstre se secoue, crépitant, écumaut, envoyant en l’air des souffles de feu, comme la baleine qui lance la colonne d’eau pulvérisée. Des flancs de l’Etna, les collines descendent doucement en gradin jusqu’à la mer, là, noi res de châtaigniers, là, plus claires à cause des vignes, ailleurs grises à cause des oli viers. La lune, d’abord entourée de la colonne immense de vapeurs et de fumée, se balance sur la 111er de Calabre, monte à travers le ciel et jette sa lumière, calme, sur l’immense étendue de ces collines et de ces plateaux si menacés. Les guides ont enroulé les couvertures de laine autour de leur tête, comme les Bédouins ; ils sont près de leurs bêtes, dans une muette contemplation ; leurs femmes, dans des robes de laine noire, les ont rejoints. Pour eux le spectacle n’est pas nouveau ; ils ne voient dans l’éruption que ce qu’il y a de douloureux; la destruction des champs, des habitations, le manque de travail, la misère, la faim !...

À propos

Lancée en 1862, La France était un quotidien suivant une ligne éditoriale à la fois libérale et favorable au Second Empire. Durant la Commune de Paris, le quotidien publia également une édition départementale imprimée à Tours. En 1874, Émile de Girardin, fondateur de La Presse et grand entrepreneur médiatique également proche d’Adolphe Thiers et de Gambetta, rachète le journal. Sur quatre pages, on y écrit de longs articles, en plusieurs parties, qui s’étendent parfois même sur plusieurs jours.

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