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La Fronde, 6 juin 1898

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La Fronde
6 juin 1898


Extrait du journal

A quelle femme, même très sérieuse et très simple, n'est-il pas arrivé de se rêver tout il coup — ne fût-ce que pendant une heure de nonchalance et d'estivale songerie — parée de la tête aux pieds d'une ondée de pierreries : diadèmes dans les cheveux, colliers sur les épaules, anneaux serrant les doigts et les oreilles, cercles de bras et de chevilles, ceintures, pendeloques, agrafes et peignes ? KUe sait que leur prestigieux éclat influence étrangement sa beauté ou sa laideur, qu'il leur donne soit la dureté impassible et surhumaine des seules déesses, soit la mollesse troublante et l'apparent dédain des grandes courtisanes, et que l'un et l'autre attributs furent toujours des plus adorés par les hommes. La rareté précieuse des pierres se répand sur l'être qui les porte. Elles ne semblent pas uniquement de luxueux bibelots, mais les insignes d'on ne sait quels immenses vices ou vertus inconnus, vastes comme rhumaniL''. Il parait impossible qu'elles resplendissent sur des créatures quelconques qui ne les gagnèrent par aucun mérite inouï. Elles brillent trop, non-seulement de leurs feux, aussi de tous les regards de convoitise qu'elles retinrent, pour laisser croire que la fortune suffit à les obtenir. C'est là qu'est surtout leur puissance faite de mensonge autant que de beauté et leur charme pareil à celui des êtres qu'on sent doubles, traltres, mais mystérieux et attirants quand même : elles ont, d'autre part, la séduction qui réside dans la durée comme celle des Heurs dans la fugacité. Il y a quelque chose d'inquiétant et de fatal chez ces corps inaltérables qui reflétèrent en leurs prismes minuscules et parfaits toute notre destinée et qui persisteront après notre mort, et diront à d'autres yeux le symbole puéril, sincère et profond que nos cœurs dissolurent en leur eau cependant insensible; car nous, éphémères assoiffés d'éternité, nous tentons toujours de nous accrocher à la vie par mille petits stratagèmes, en insensés se retenant à des branches fragiles afin de résisterau courant où ils se noient, et nous avons trouvé ce leurre charmant et pour quelques instants apaisant notre angoisse, de faire exprimer à de froids bijoux, bagues, médailles, bracelets ou chaînes, nos désirs d'inextinguible et perpétuel amour....
La Fronde (1897-1929)

À propos

La Fronde est un journal quotidien féministe fondé à la fin du XIXe siècle par Marguerite Durand.

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