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La Gazette, 13 novembre 1912

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La Gazette
13 novembre 1912


Extrait du journal

Nous recevons d’un ami, témoin ocu laire de ce qui se passe à Constantino ple, l’intéressante description qu’on va lire, datée de jeudi 7 novembre : Nous vivons ici au milieu de soldats blessés, pas très grièvement, parce que ceux qui sont très atteints par les balles et surtout par le ca non, ne sont pas transportés. On les laisse sur les routes détrempées, car il pleut sans cesse. Ils meurent là comme des chiens, et c’est un spectacle épouvantable. Les morts sont en nom bre considérable, d’après les Turcs eux-mê mes. Ils se comptent par quarante mille. Les soldats meurent de faim. Durant des cinq ou six jours, ils n’ont rien à manger. Il y a des déserteurs, des fuyards qui courent la campa gne, sans voir seulement ce qu’il y a devant eux. Ils marchent comme des bêtes, jetant leurs fusils, lorsqu’ils en out. Beaucoup d’hom mes, en effet, sont envoyés sans armes, à peine habillés, par un très mauvais temps froid. Et, malgré cette panique, Constantinople, triste, sous un ciel gris, est remplie d’hommes qui ne font rien. Des soldats circulent dans les rues, sans armes, ayant l'aspect de troupes en congé. J’ai été frappé de la grande quan tité d’hommes en ville. Je croyais que l’esprit de patriotisme devait régner dans toute âme humaine, et ici vraiment, il n’existe pas. Le soldat turc, qui est représenté comme brave, n’a vraiment que le fatalisme de sa reli gion. Devant la mort, il est calme; il ne parle pas, il ne se plaint pas, mais il n’a aucun dé sir de sauver son pays. Dans Constantinople, pas de défense. Les Bulgares sont près, ils menacent la ville, et pourtant rien ne protège cette ville. Il y a un grand mystère qui plane sur ce peuple bizarre. On entend, à chaque instant, parler de victoires bulgares, et personne ne bouge. « C’est fini — dit-on , — la boucherie ne peut durer, l’armée n'existe plus ». L’incurie du gouvernement est grande. Tout le monde le voit. Pas de chef, pas d’officiers ; on se cache, on paie même, — dit-on, — pour ne point partir à la guerre. J’ai visité l’hôpital installé par le sultan. On y voit une grande quantité de médecins turcs. J’estime que tout ce monde ferait mieux de se battre que de rester ici pour soigner quelques blessés. Pour le moment, il n’y a que cent dix lits dans cet hôpital. Une vingtaine de méde cins les soignent On y trouve des infirmiers, des hommes attachés au sultan, un personnel nombreux. Mais, à côté de cela, des casernes entières sont pleines de pauvres diables, sans soins, sans pansements, sans lits, sans couver tures. On ne compte plus les blessés qui arri vent. Les Dames de la Croix Rouge Française ont commencé jeudi, à porter leur effort dans ces dernières agglomérations. Il faut savoir admi rer un aussi magnifique dévouement. Mais, hélas ! que peuvent faire quelques femmes (elles sont six en tout) ? J'ai admiré, par exemple, les sociétés an glaises qui se forment de jeunes gens, méde cins, étudiants, tous de bonnes familles, qui partent, vont sur les champs de bataille, pour y rendre de vrais services. Nous avons voyagé avec une équipe de ces garçons-là, tous bien décidés à se dévouer. Au reste, peut-être n’aurons-nous pas à attendre bien longtemps avant de voir des horreurs à Constantinople même. On craint toujours des massacres, parce qu’il y a une partie de la po pulation de Stamboul qui est très surexcitée. On attend les nouvelles avec impatience ; on se demande ce que décideront les grandes puis sances et ce que les vainqueurs voudront bien accepter. Je vous donnerai d autres nouvelles aussitôt que je pourrai. L’AGONIE DU SOLDAT TURC...

À propos

La Gazette est le tout premier journal français à paraître grâce au soutien du cardinal de Richelieu. Créée en 1631 par Théophraste Renaudot, qui s’était vu octroyer ce privilège du Roi Louis XIII, La Gazette était la seule publication habilitée à annoncer publiquement les nouvelles venant de l’étranger. Il s’agissait de l’organe quasi officiel du Conseil du Roi détenant le monopole de l’information diplomatique et parfois des affaires intérieures. D’abord hebdomadaire, il devient quotidien à compter de 1792.

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