Extrait du journal

Lundi 7 mai. — .T'adore les bètes et Jes sauvages : ce sont âmes vierges qui mo reposent 'le la complication de nos sentiments d'hommes civilisés, et de l'âprelé de nos luttes pour l'existence. L'enfant est trop complexe, il y a des mondes dans ses moindres mots : la petite fille est coquette et mignarde, il ne s'en taut souvent que de la longueur «l'une jupe pour qu'elle soit tout à fait femme ; le petit garçon raisonne, pense, déduit, indu t ; sous les canotiers de pailla et les bérets de velours germent déjà les projets d'avenir, le souci de la carrière à embrasser. On sent ces cerveaux de cinq ans tout pleins de chiffons et de cliquetis de sabre : cela réfléchit, cela souffre, et si notre regard s'adoucit à les suivre dans leurs ébats, c'est moins par cette sensation de détente morale que procure tout ce qui est «impie et sans recherche, que par plaisir do voir un fruit qui ne serait pas encore attaqué par les moisissures de la vie. Mes bêtes et mes sauvages sont de rouage phsychologique moins compliqué : leur raisonnement va droit à l'os à ronger, à la pincée de tabac ou à la poignée de riz; le cercle de leurs désirs est restreint puisqu'il se limite à la satisfaction des besoins primordiaux nécessaires à toute créature qui veut se conserver. La vie des peuplades inconquiaesestune végétation qui ne demande que l'air, la lumière et la nourriture pour croître dense etluxuriante:ellessontlieureusesdèslQrs que le bonheur n'est plus la chimère que ne saisissent jamais les pauvres intellectuels exaltés que nous sommes, mais bien la chose qu elles trouvent chaque jour, dans le fonds de leurs pipes ou dans le creux de leurs plats d'argile. C'est ce bonheur absolu que j'aime en elles et le tolstoïste féroce qui sommeille en moi leur sait gré secrètement de l'exemple qu'elles fournissent à l'appui de la parole du maître « Vivez près de la naturel »...