Extrait du journal

C’est en cette saison surtout que j’aime mon vieux Luxembourg ; j’y promène avec délices ma flânerie de vétéran ; ce pendant que dans les allées, le plus souvent désertes, m’escorte la théorie des souvenirs chers à mon cœur. Avec les éternels absents, je cause volontiers de choses très anciennes et celles-ci ressuscitent d’un jet, se déroulent sur l’écran de ma pensée comme les images d’un cinématographe. Quel mystère, la mémoire ! Des faits très éloignés sont restés d’une telle netteté à l’esprit qu’on les dirait vivants encore ; d’autres, au contraire, sont en partie émoussés ou déformés ; enfin, d’autres ont fui à jamais dans le noir; il y a des trous... on ne sait plus. On ne retrouve pas certains noms qui furent familiers ; il est des visages dont on n’arrive point à reconstituer les traits. Comme il est pénible d’oublier ! La personnalité s’en trouve amoindrie et ce sentiment de notre faiblesse finit par provoquer presque une souffrance en même temps qu’elle nous humilie. Nous ne sommes, en effet, comme l’a dit Taine, qu’une collection de souvenirs. Que la mémoire s’éteigne tout à fait et c’est fini : nous avons perdu notre pauvre petit « moi ». Les Anciens, en choisissant Mnémosyne pour reine des Muses, avaient com...