Extrait du journal

bientôt en mesure d’étudier notre Livre. — C’est que ça serait-il p’t-etre bien une prison, cette cambuse-là ? de manda le vagabond nerveux. Il commençait à trouver le particu lier moins amusant. Sa main musclée tourmentait son bâton d’épine. « Détrompez-vous, La Bouteille.C’est un magnifique temple de Lumière et Je Fraternité. Le matin, vous carde rez des matelas, vous ferez du pain, des serrures, des meubles. L’aprèsmidi, vous labourerez, vous ferez monter l’eau dans les puits — Comme un cheval, alors?... — Non, comme un homme libre qui a conscience qu’il fait monter l’eau solidairement. Ce n’est pas du tout la même chose. Jadis le seigneur exploi tait le serf. Aujourd’hui, nous cana lisons philanthropiquement le libre travail du prolétariat... Le soir venu, vous irez, dans de belles salles d’étude, écouter les conférences in structives que nous ne vous ménage rons pas. Nous vous apprendrons la vraie histoire, la nôtre, la vraie reli gion, la nôtre, la vraie science, la nôtre Heureux, trop heureux La Bouteillle ! — Ecoutez, Monsieur, dit le vaga bond, ça colle-t-il que vous passez votre chemin et que vous me laissez tranquille A mes petites affaires. — Ah ! quant à cela, non, déclara La Vraie Voie avec violence. Vous êtes 1111e brebis égarée et je dois vous remettre dans le droit chemin. Le Livre l’exige. Mon salut éternel est à ce prix, il dépend maintenant du vôtre. — Alors, continuez tout seul. Moi, j’entre là. Et le vagabond se dirigea vers un cabaret où des gars vigoureux cour tisaient une jolie fille brune qui ap portait des verres en riant. « Infortuné, y songez-vous ?..... ;> Le calviniste se mit en travers du seuil, les bras croisés, il rugit d’une voix blanche, la face extatique, les yeux levés au ciel. — Ici votre âme court un péril de mort. Ici la débauche vous attend. Et quoi, une femme servante, mainte nant..... Il vous faut une femme ser vante ! Oh ! Et il se voilait la face avec une sorte de gémissement. — Sauf respect, dit La Bouteille furieux, on 11e peut pourtant pas faire la cour à des colimaçons — Ah le malheureux dévergondé, la Bête pleine de noms de blasphème ! Il ne sait pas que la femme n’est en rien différente de lui... — Oh ! oh ! fit le vagabond... — ... Qu’elle a les mêmes droits, les mêmes devoirs, qu’elle participe aux mêmes congrès; aux mêmes jus tes revendications — Maintenant, mon brave mon sieur, La Vraie Voie, tonnerre, f moi le camp!... Le charme biblique était rompu. La Bouteille, campé en travers de la route, avec un mauvais regard, son bâton crispé dans sa main, 11e voulait plus rien entendre. « Le martyre, pour la cause de la Vérité, murmura La Vraie Voie en extase. » Puis il s’écria, tendant la Bible : — Je ne vous quitte plus, La Bou teille Désormais, je m’attache à vos pas. Je vous enseignerai, malgré vous, la miséricorde, la solidarité humaine. Quel que soit l’ouragan, malgré la grêle et les sept fléaux, ma parole méprisée tombera, comme une se mence dans votre cœur rebelle. — Ah ! le sacré bon sang de "Sale client ! — Elle y lèvera des moissons in comparables, sous le grand soleil triomphant de la fraternité univer selle. Soyez béni, mon frère... Et ne fumez plus. » De sa main sèche, ie calviniste fit tomber la pipe du vagabond. Celuici, furieux, leva son bâton. On enten dit un bruit d’os cassés. La Vraie Voie s’effondra comme une marions nette noire. Un filet de sang coulait sur sa tempe. « V’ià que je l’ai tué, v’ià que je l’ai tuùiU répétait JLa Bouteille épou...