Extrait du journal

qui avait été élevé dans les traditions de l’honneur militaire, qui était tout imprégné des idées de discipline I Ja dis il avait été peut-être implacable et dur pour ceux qui avaient bronché, pour ceux qui s’étaient écartés de l’austère devoir, et maintenant il ne pouvait s’empêcher de presser son fils dans ses bras, de le plaindre, de lui trouver des excuses. Tout cela est plein de sujets de roman. Connaissez-vous rien de plus émou vant, comme état d’âme contradictoire, que la tin de ce petit soldat qui, au mois de janvier dernier, se tua avec sa bonne amie dans une chambre d’hô tel au fond d’un faubourg de Bruxel les. Il avait revêtu pour mourir son uniforme de sergent-major, et il lais sait une longue lettre dans laquelle il expliquait son malheur et protestait de son amour pour la France; il par lait de lui comme s’il était déjà mort. il s’appelle Gustave X... II est né à tel endroit, il était sergent-major à tel régi ment, à tel endroit. C’est de là qu’il est parti, en enlevant la femme qui l’a ac compagné à Bruxelles et qui s’appelle Marie Z... Ils ont obéi tous deux à un amour irrésistible ; ils se sont adorés, comme dans un rêve! Et pour cet amour, dans une heure de vertige, il a déserté le drapeau de la France, sa chère patrie. Comme il l’aimait pourtant cette patrie sublime ! Il aurait voulu donner son sang pour elle, succomber sur un champ de bataille... Mais la Destinée en a décidé autrement. II va mourir sur le sol étranger, loin de ses amis et anciens compagnons d’ar mes qui sans doute lionnisseut sa déser tion. Mais, hormis ce vertige qu’il a eu et qu’il va expier, son cœur est resté tout entier attaché à la France ; et quand il aura donné à la femme qu’il aime et qui fait eu même temps que lui le sacrifice de sa vie, un dernier baiser d’amour, sa dernière pensée sera pour cette France tant regrettée. C’est pour rendre hom mage à sa patrie qu’il a, au moment de se préparer à la mort, endossé l’uniforme de sous-ofticier qu’il a porté au service de sou pays. Il demande à tous pardon de ce qu’il va faire: sou suprême désir est qu’un même tombeau réunisse son corps à celui de Marie Z... ; et il espère que sur ce tombeau des amis compatis sants et miséricordieux viendront jeter des (leurs aux couleurs de sa patrie. N’est-ce pas que c’est touchant tout de même ? Cela passe inaperçu parce qu’il s’agit de Boquillon. Mettez ces êtres de passion dans un autre décor, figurez-vous les personnages habillés à l’antique, ou vêtus de velours et de soie, remplacez par un lit jonché de roses cette banale chambre d’hôtel, et vous aurez une de ces légendes qui font rêver pendant des siècles les âmes sentimentales. S’il signait le décret d’amnistie mili taire, M. Félix Faure sauverait d’une existence de désespoir et de regrets beaucoup d’infortunés qui ont dure ment payé déjà une heure de vertige et d’égarement. C’est comme mère, m’écrivait hier en core une de mes correspondantes, que je viens vous prier de vous intéresser à cette question qui rendrait à la France un grand nombre de ses enfants désireux de la servir. Ai-je besoin d’ajouter que j’ai un fils à l’étranger? Engagé à dix-liuit ans, après la mort de son père, il a quitté son régi ment après deux ans de services, et se rait bien heureux de revenir dans son pays, comprenant mieux maintenant que, si la vie militaire a des moments très pénibles, le devoir envers la Patrie oblige à les supporter. D’ailleurs tous ses ofliciers ont témoigné de sou excellente conduite en tout point, de son exactitude rigoureuse à remplir ses obligatious. Fau dra-t-il qu’il porte sans cesse le poids d’un moment d’oubli ? Allez-y, monsieur le Président ! Evi demment ce n’est pas cette mesure qui restaurera l’esprit militaire dans le pays, mais cela l’affaiblira certai nement beaucoup moins que le piteux voyage de Kiel.... ÉDOUARD DRUMONT...