Extrait du journal
lui d’une bonne à tout faire, c’est l’ai sance, et bien des officiers à qui vingtcinq ans de service ont cousu quatre et cinq galons sur la manche, à qui obéissent deux, trois mille hommes, à qui les factionnaires rendent les mêmes honneurs qu’aux princes, nombre d’entre eux ne connaîtront jamais de luxe supérieur à celui-là. Cet officier qui a de l’or sur ses habits — et là seulement, — sa fem me confectionne elle-même ses hardes et celles des enfants. Il suffit d’une averse, un jour de revue, pour néces siter le remplacement de ces passe menteries coûteuses, qui ont pour but de donner du prestige au commande ment, et pareil accroc à ces maigres budgets suffirait à en chavirer l’é quilibre fragile, si ne veillait l’austère raison. Songez à cela, mesdames, vous dont la facture annuelle de couturière re présente plus que la somme sur la quelle vit pendant ce laps toute une famille de ces héroïques serviteurs du pays. Et vous, jeunes gens, cha que fois que vous jetez un havane à demi fumé, dites-vous que des colo nels se limitent rigoureusement le nombre de cigares à un sou. Dans ce Paris dont l’invention s’é puise à fournir de divertissements inédits notre curiosité blasée, il n’en est aucun pour les ménages militaires dont je parle. Ils y vivent comme ils ont vécu en quelque petite place forte des Alpes. Des théâtres ils ne connaissent que les affiches. Qui donc leur donnerait des billets de faveur? Et puis, les théâtres sont loin. Et à l’heure où nous nous abattons en bâillant chez Paillard ou chez Maire pour y grignoter sans faim un perdreau froid et y sabler sans soif de l’extra dry — addition à peu près égale à un mois de solde de capitaine — à cette heure le der nier omnibus de Grenelle risque de se trouver complet. Le monde?... Je ne désigne person ne, mais lorsque j’aurai dit qu’il s’agit de la veuve d’un officier supérieur dont le nom se trouve dans toutes les bouches, chacun aura compris. Eh bien I jamais cette jeune fem me n’a accompagné son mari dans ces réunions officielles ouvertes à l’épaulette. Savez-vous pourquoi ? C’est fort simple : parce que jamais elle n’a cru pouvoir se permettre la folie d’une toilette de soirée. Vous entendez cela, Parisiennes mes soeurs, vous qui, par ce mot de « folie » qualifiez votre sixiè me chapeau de la saison — et qui la faites d’ailleurs. Et malgré tout ce qu’il y a de noblesse et de fierté dans ces bra ves âmes de soldat, je sais que celui-là, un jour, eut les larmes aux yeux de devoir renoncer à conduire sa femme à la réception d’installation d’un mi nistre de la guerre... de celui qui de puis... Mais non : ce n’est pas de cela que j’ai à parler. Cruellement mesquin, tout cela, n’est-il pas vrai? Et ces romanciers dits réalistes, dont la spécialité est de salir tout ce qu’ils touchent, en pren draient texte pour tracer de la vie militaire des tableaux nauséabonds. Tant pis pour eux. Les Anglais aussi, les Yankees surtout, qui ne deman dent pas d’un homme : « Qui est-il? » ou : « Que fait-il ? », mais : « Combien vaut-il? », y trouveraient matière à dédaigner les jobards qui font un aussi rude métier pour un plat de lentilles. Mais l’âme française est en core, je veux le croire, assez cheva leresque pour en juger autrement. La pauvreté fière, sans regrets, sans envie et sans murmure, a sa grandeur, sa poésie même. Où est l’honneur, il n’y a jamais à rougir — et il est plus beau de mou rir pour un morceau de pain que pour un lingot d’or. En regard de ces existences qui se raient humbles si ne les relevait cet éclat moral, dépeindrai-je celles de gens à qui ce que la fortune leur donne de jouissances ne laisse de place pour aucun désir — fortune sur la source de laquelle peut-être est-il prudent pour eux de faire le silence ? Ce serait une antithèse trop facile, et j’en laisse le soin au lecteur lui-même. Mais voici où je veux en venir. Un de ces Soldats qui vivent comme je viens de le dire est mort — d’une mort tragique, se punissant soi-même d’une erreur oui n’était au’une mala...
À propos
Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».
En savoir plus Données de classification - picquart
- paschal grousset
- de freycinet
- bertulus
- marie anne de bovet
- henry
- esterhazy
- max régis
- dreyfus
- pic
- paris
- france
- montmartre
- clemenceau
- syndicat
- christian
- munster
- charenton
- palais
- angleterre
- conseil de guerre
- alger
- agence havas
- paillard
- ecole militaire
- union postale