Extrait du journal

LE NOUVEL INCIDENT EUROPÉEN Nous commençions à nous rasséréner, au sujet des Balkans, lorsque l’horizon s’est sou dain assombri. Assombri n’est pas le mot, si vous voulez ; il y a eu plutôt, dans l’air, une sorte d’étincelle électrique qui a perturbé Pa ris, galvanisé le public des entractes. On a vu aussi des gens se plonger le nez dans des journaux à grand tirage et traverser le boulevard sans regarder ni à droite, ni à gauche, sans entendre les coups de corne des autos, buter contre le trottoir opposé, tomber dans les bras de personnes obligeantes qui les ont remis sur leurs pieds et s’éloigner sans remercier, toujours le nez dans leur journal à grand tirage. Et d’autres gens se sont demandés : — Mais qu'y a-t-il ? Est-ce que les Turcs reprennent le dessus ? Est-ce que les Bul gares ont reculé jusqu’à Sofia t Est-ce que l’Autriche recommence à refuser un port aux Serbes ou exige maintenant que ce port soit sur un lac suisse ?... Est-ce une nouvelle pa nique de Bourse ? Cette dernière hypothèse n'était point invraisemblable, car il s’agit tout bonnement depuis deux jours, d'un nouvel incident euro péen : la brouille de Guitry et de Bernstein. Vous connaissez la tragique histoire : Bernstein a demandé à Guitry de lui prêter un artiste pour jouer dans une pièce. Guitry qui a besoin de tous ses artistes pour jouer Kismct, le 15 décembre, au théâtre SaraJiBernhardt, a refusé... Il sera en sultan, je crois, il n’aura jamais assez de monde autour de lui. Bernstein, qui n'a besoin, lui, que d’un artiste et qui ne parvient pas à le dé couvrir à Paris, en dehors de la troupe de Guitry, a déclaré : « Guitry peut se fouiller maintenant pour jouer jamais dans une de mes pièces. Et puis, au fait, son refus m’honore ! » Vous pensez bien que cet incident a cons titué, tout de suite, dans cette élite qui s’appelle le Tout-Paris des premières, l'équi valent d’un coup de tonnerre. Et ce coup de tonnerre domine le bruit des batailles balka niques....