Extrait du journal

Je marchais côte à côte avec notre ami Jules Guérin, quand sur l’ordre d’un monsieur sans insignes il a été arrêté ainsi que plusieurs de nos camarades de la Ligue. Mieux que quiconque je puis donc faire un récit exact de cette arrestation : je m’efforcerai de le faire avec modéra tion, en comprimant mes sentiments d’indignation. On m’a dit que l’auteur de l’arrestation était un commissaire de police du nom de Leproust, qu’il se vengeait sur nos amis d’une agression dont il avait été victime quelque temps auparavant. Il ressemble, en effet, à un individu qui fut malmené à quelques pas de nous, près de l’obélisque. Puisqu'on prétend établir une corréla tion, comme il résulte d’informations inexactes publiées par les journaux du soir, je commencerai par cette agression. Guérin, quelques membres de la Ligue et moi, nous traversions la place de la Concorde, escortés par une quantité d’in dividus inconnus de nous, quand un passant cria : « Vivent les Juifs ! » — « A bas les Juifs ! A bas les traîtres!» rispostâmes-nous en chœur. A cette riposte, un gros monsieur, pre nant les allures d’un fier-à-bras, se pré cipita vers notre groupe et, interpellant un de nos amis : — C’est vous qui avez crié : « A bas les Juifs! » questionna-t-il. — Qu’est-ce que ça peut vous faire ? — Ce que ça peut me faire ?... Et il porta la main sur notre camarade, qui se dégagea par un simple retrait de corps. Guérin allait demander au singulier personnage de quel droit il se permettait ces interpellations, quand un coup de canne abattit le fanfaron. Il se releva ; mais un des inconnus qui...