Extrait du journal
J’ai eu vendredi soir, très tard, avec Arton, une conversation à bâtons rom pus qui n’a pas duré moins d’une heure. En quel endroit et à la suite de quel enchaînement de circonstances cette con versation a eu lieu, je ne le dirai pas — aujourd’hui, du moins. Plus tard, je ver rai. L’histoire, comme toutes celles où le hasard joue le principal rôle, est cu rieuse. Je n’ai pas la prétention d’avoir été plus malin que les confrères qui recher chent Arton. J’ai été plus heureux, voilà tout. Entrée en matière Donc, vendredi, je frappai à la porte du petit appartement qu’habite momen tanément Arton. Un homme pas très grand, presque obèse, assez large d’épaules, vint, une lampe à la main, m’ouvrir. Il avait la dé marche lourde et, sous son binocle, l’air renfrogné. — Monsieur X...? — C’est moi, que me voulez-vous? Il referma la porte, me fit entrer dans une manière de chambre à coucher-sa lon. Sans répondre, je présentai ma carte. Il la prit, posa la lampe sur la cheminée où brûlait un bon feu; puis, se penchant vers la lumière, il enleva son binocle, et approcha la carte très près de ses yeux. En lisant mon titre de rédacteur à La Libre Parole, il ne sourcilla pas un seul instant. Il se tourna vers moi, et me regarda fixement. Je vois encore sa barbe taillée en pointe, et, de chaque côté des narines, deux rides profondes... Il répéta : — Que me voulez-vous? — Je viens vous demander une inter view. — A moi ? — A vous, Arton. Je prononçai ce nom très fermement, puis, en quelques mots, je lui dis com ment j’avais appris fortuitement son adresse. Arton comprit qu’il ne pouvait nier. Il eut un léger haussement d’épau les, puis il dit : — Oui, c’est moi Arton. On ne pense pas à tout. Je lui promis sur l’honneur de ne révé ler cette adresse à personne. Un mouve ment d’impatience et, brutalement : — Je m’en f..., car je n’ai pas la naïveté de croire que le gouvernement ignore où je suis. S’il ne m’arrête pas, c’est qu’il a ses raisons, sans doute... D’ailleurs, même si on m’arrêtait, on ne me tiendrait pas pour cela. J’ai toujours sur moi un poison que m’a donné mon ami F..., le fabricant de glycérine que vous avez si fort mal mené ces jours-ci — à tort, par paren thèse, car il n’a rien fait qui motivât vos attaques. Ce poison-là a son histoire. Je me souviens que quelques jours avant mon départ, un de mes amis, actuelle ment en prison, en avait demandé une fiole pareille à F... Vous pouvez vous ren seigner... Il reprit : — Il est vrai que si on voulait réelle ment m’arrêter, les agents auraient de la peine à me reconnaître. J’ai vu dans les journaux illustrés le portrait de moi qu’on leur a donné. C’est un portrait qui date de je ne sais combien d’années. Et encore, ce portrait n'est que la photogra phie d'un fusain fait lui-même d'après une photographie. On m’y représente sans mon binocle. Or, mon binocle ne me quitte pas. Je suis myope comme une taupe, n La fortune d‘Arton Je m’étais assis sur un fauteuil, près du feu ; Arton, pesamment, s’était af falé sur undivan. — On dit, fis-je, que vous êtes parti emportant 9 millions. Un député s’est fait, à la Chambre, l’écho de ce bruit. — C’est inepte. Ce qui a pu le faire croire cependant, c’est que, quelque temps avant mon départ, ne sachant comment me procurer des fonds pour mes échéances, j’ai usé du système qui consiste à découvrir Pierre pour couvrir Paul. Ayant besoin de â00,000 francs, je suppose, j’escomptais dans une banque...
À propos
Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».
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