Extrait du journal

vouloir s’avancer au cœur des ténèbres, en groupe de fantômes plus noirs que la nuit, avec des menues clartés rouges vacillant çà et là comme des cierges. L’homme rôdait toujours autour du ter rain des Laroque. Dans la grange, brûlait encore la lampe des longues veillées, qui invite aux cause ries de famille, aux paisibles travaux, aux indolences. L’homme, parmi l’ombre, n’osait pas s’aventurer. Au moindre bruit de la cam pagne confuse, il se cachait, rampait dans les fossés, souffrait de froid et de lassitude. Il avait peur. Pourtant, si des paysans, cette nuit de fête, avaient passé sur la route, qui donc aurait découvert Jean-Baptiste Gazai, le seigneur du château, en cet accoutrement de vagabond, ces habits déchirés, mal ra piécés, qui avaient traîné ea de si lointains pays, par des sentiers de loups, en des précipices pleins de broussailles et seule ment parcourus par les gaves irrités? Maigre, hâve, la barbe mal poussée, Gazai était impunément rentré en France, sans aucune crainte. Cependant, il avait attendu l’ombre pour pénétrer dans son pays fa milier, où les gens ne se lassaient pas de s’entretenir de son aventure, d’évoquer son nom, son souvenir, d’épiloguer sur les chances de son destin. Il s’était acheminé, en longeant le Gave, jusqu’à la limite de son domaine. Le chàœau reposait dans le bien-être de toujours, une paix bienheureuse. Gazai aurait bien voulu entrer tout de suite. Mais il sut prudemment contenir sa tentation. Les chiens eux-mêmes ne l’au raient pas reconnu, ainsi dépenaillé, dans...