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La Petite Gironde, 5 septembre 1907

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La Petite Gironde
5 septembre 1907


Extrait du journal

Paris, 3 septembre Examinons quelques-uns des jeux de l'honneur et du hasard. Un homme « du monde » ayant perdu au jeu une somme importante qu’il était hors d’état de payer s’est donné la mort. Il n’a pu survivre à ce qu’il considérait comme son honneur. Les dettes de jeu, qui sont à peu près les seules dettes déshonorantes, ont reçu le nom de dettes d’honneur. Un élégant mondain ne paie pas son tail leur et contribue à le mener à la ruine ; cela n’a point d’importance ; non-seulement personne ne s’avisera de lui en faire un re proche, mais il aura les rieurs de son côté Il est admis qu'un tailleur trompé ou tout autre fournisseur escroqué par un client et qui cherche à rentrer dans son argent est un personnage ridicule, risible, et qu’on ne saurait bafouer avec trop de verve joyeuse. Les auteurs dramatiques l'ont bien mon tré, depuis les vieux classiques jusqu’au bourgeois Eugène Labiche ; voir sa Chasse aux Corbeaux. Mais une dette contractée autour de la table de jeu et parfois envers un partenaire qui, peut-être, a, d’un coup de pouce dis cret, rectifié l’essor de la Fortune, est con sidérée comme revêtue d’un caractère sacré ; elle doit être payée dans le délai rigoureux de vingt-quatic heures. L'honneur ordonne que le joueur ruine av. besoin sa femme, ses enfants, plutôt que de ne point s’acquitter avec une ponc tualité de haut goût envers des brelaudiers suspects. Je m’abstiens de verser une larme sur la dépouille mortelle du suicidé d’hier. • Si le diable a recueilli son âme, il a fait une pauvre acquisition. Je rapprocherai cct incident de la tenta tive désespérée d’un pauvre mari parisien. L’aventure est absurde et touchante. Le pauvre homme venait d’apprendre que sa femme le trompait activement sur une plage normande, au hasard de la rencontre — à la fortune du flot. Cette certitude lui ayant paru intolérable, il s’est tiré un coup de revolver, heureusement mal pointé. 11 avait pris la précaution d’écrire une décla ration dont il résultait qu’il ne voulait point survivre à son honneur... Ainsi, voilà un homme à la conscience limpide qui travaille à Paris pendant la chaude saison, mais qui entend épargner à s«i femme les désagréments de la canicule parisienne. 11 l’envoie aux bains de mer et demeure à son poste pour veiller au grain, car les affaires sont difficiles. Madame, qui s’ennuie au bord des flots chantants et monotones, voit venir à elle des oisifs qui s’ennuient de leur côté ; ils lui font entendre qu’ils seraient bien aises de la désennuyer, et elle sc désennuie en leur compagnie. Le mari ne tarde point à en être informé, et, à la réception de la nouvelle, il sc sent déshonoré de pied en cap — surtout en cn;>. En pareil cas, quclqucs-tins de scs con frères ou collègues ouvrent un feu roulant sur la coupable et se ménagent ainsi un acquittement certain devant le jury de la Seine, aux applaudissements enthousiastes de l’assistance. Le mari dont je parle a pensé qu’ayant été déshonore par sa femme, il ne lui res tait qu’un moyen de recouvrer son hon neur, et c’était de perdre la vie. De deux choses l'une : cct homme est un vaniteux ou un naïf. J’en demande pardon à sa convalescence, mais le souci de la vérité doit passer avant le désir de dorer la pilule à un mari trompé. C’est un vaniteux s’il a préféré la mort au ridicule; un naïf si réellement 11 s’est cru déshonoré. Comment 1 II se sacrifie pour une femme, il lui fait de confortables loisirs qu’elle emploie à le trahir, et cct incident, qui d’ailleurs s’est produit à la distance de quatre cent cinquante kilomètres, l’aurait déshonoré? Il serait déshonoré parce que sa trop fragile conjointe a cru devoir cas cade r loin de lui, devant la mer immense ? On n’imagine pas un plus obscur senti ment de l’honneur, un préjugé plus pro fondément cocasse. Il est vrai que les préjugés mènent le monde. C’est, en vérité, Un pauvre monde, celui qui se contente d’interprétations pareilles à celles qu’on donne communément à l’hon neur. L’honneur moderne a le tort de man quer d’unité, d’être essentiellement varia ble et de ne point reposer sur le principe fixe du bien. Et cela est si vrai qu’on peut être aux yeux du monde à la fois un homme de bien et un homme déshonoré 1 Tel est du, moins le sentiment du pauvre mari dont je m’occupe. Un négociant, un industriel animé d’une parfaite délicatesse, vient-il à manquer à ses engagements professionnels par suite d’un malheur qu’il n’a pu conjurer, voilà son honneur en péril 1...

À propos

Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.

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