Extrait du journal
me rendis chez un dentiste, non sans m’être, au préalable, bien assuré de la santé sans tache et delà parfaite intégrité de chacune de mes dents. Ce n’est pas sans un mortel frisson, je l’avoue, qu’en pénétrant dans la chambre aux tourments, j’aperçus le formidable arsenal des pinces et des tenailles dont l’acier luisait d’un blanc cruel. Ce n’est pas sans une sensation de défaillance que je m'assis sur un fauteuil articulé, près d’une cuvette étamée, percée au fond d’un trou buveur de sang et de larmes. Mais je me ressaisis. L'entreprise que je venais tenter était de trop d’importance pour que je m’accordasse le droit de tomber en faiblesse. Je pris donc mes dispositions pour ne point laisser échap per un seul des clichés cérébraux que je visais, puis je m’affalai sur le dossier, et l'opération commença. Dire ce que je souffris, pendant une demiheure, non ! Il ne m'appartient pas de vanter mon stoïcisme. Qu’il vous suffise de savoir qu’au prix de ma mâchoire à jamais dévastée, j’ai pu constater la vérité du dicton légendaire, et reconstituer, d’après les douze ou treize épreuves photographiques transcrâniennes que j’ai prises, l’ensemble des pratiques qui constituent le Mensonge de l’arracheur de dents, le « Truc des Dentistes ». Il est simple, ce truc, comme tous les pro cédés qui réussissent. Vous avez trente ans, les gencives rouges, la bouche saine, un bon estomac. Jamais l’ombre d’une carie n'a terni l’émail de vos crocs. Naturellement, vous n’a vez jamais mis les pieds chez le dentiste, et c'est pourquoi vous mâcheriez du fer en le trouvant tendre. Un jour, hélas ! un coup d’air, un froid qui passe éveille une névralgie dans vos maxillaires, et vous courez vous faire soigner. De ce jour, vous êtes perdu. Laissez toute espérance à ce seuil, comme à la porte de l’Enfer I L’homme de l’art vous installe dans son fauteuil tragique, vous examine, vous scrute et vous fouille la bouche. La dent dont vous souffrez, il n’en a cure : un tampon d’ouate, un collyre, et c’est guéri ; la nature elle-même, et toute seule, s’en chargerait. Non, ce qu’il lui faut, ce qu’il cherche dans les rangs de vo tre râtelier, c’est une future cliente, une inci sive ou une canine mal en point qui vous for cera à revenir bientôt. Et tout à coup : — Vous avez là, Monsieur, dit-il, au fond, à gauche, une molaire en bien mauvais état ! — Mais elle ne m’a jamais fait de mal I — N’importe! elle vous en fera. Croyezm’en, elle demande des soins. Que répondrez-vous à cela.-’ Rien, n’est-ce pas? Ce spécialiste parle de ce qu’il sait. D’ail leurs, sans attendre votre réplique, ledit spé cialiste a vivement approché de vous une sorte de chevalet agrémenté d’une roue de rouet mu# par une pédale. Vous semez qu’en tre vos lèvres s’introduit une tige de métal qui vient chercher la molaire soupçonnée, et soudain, — vrrr! vrrrl.vrrrJ,— quelque chose tourne éperdument sur votre dent et une dou leur atroce vous crispe les nerfs. C’est fini. Le dentiste a son emprise sur vous. Huit jours après, un mois plus tard, cette molaire dont veus n’aviez oneques eu à vous plaindre commencera à vous persécuter. Et vous retournerez chez l’homme au chevalet vrissant. Cette fois, il vous découvrira une autre dent, innocente jusque-là, elle aussi, et qu’il rendra pour toujours méchante, en un tour de roue. Et jusqu'à votre mort, tous reviendrez vous suspendre à la sonnette du dentiste, les poings aux joues et les yeux hors de la tête. Car votre mâchoire sera à lui, désormais, comme une ferme. Et voilà quel mystère d’iniquité ont mis au jour les clichés cathodiques que j’ai obtenus ce pendant qu'un clinicien barbare me tour mentait tout vif. Il est vrai, me direz-vous, que cette preuve unique ne prouve rien, car il y a peut être, dentistes et dentistes, comme il y a fagots et fagots. C’est égal, j'ai de la méfiance!... Louis MARSOLLEAU....
À propos
Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.
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