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La Petite Gironde, 12 avril 1898

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La Petite Gironde
12 avril 1898


Extrait du journal

’ nant une des roues. Je m’approchai de ce gentilhomme et, avec mon air le plus con venable : — Vous devriez bien m'emmener avec vous, mon bon monsieur ! Il se retourna, et, me toisant, éclata de rire. — Oui-dà I et quel âge as-tu > — Douze ans ! — Diable ! tu es précoce !... Mais tes parents ? Qu'est-ce qu’ils diront > J'allais répondre que j'étais décidé à quitter maman Renaude, mais la réflexion me vint, et je dis, d’un ton des plus assu rés ; — Mes parents !... je n’en ai point!... Je suis orphelin ! Je vais de bourgade en bourgade, et, comme j’ai une belle voix, je chante des airs du pays aux bonnes âmes qui me donnent à manger un morceau de pain, et à boire un coup de vin doux ! L’homme aux bottes et au pourpoint re monta dans la voiture, parla à scs compa gnons et, au bout d’un instant, me cria ; — Eh bien ! monte! Je sautai dans la guimbarde, comme un écureuil, et me voilà parti !... Ah ! j'avoue qu’à ce moment, je vis pas ser devant mes yeux le sévère profil de maman Renaude ! Je me représentai la brave femme courant dans la campagne, en quête de son petit Clément, se recom mandant à la Vierge, aux saintes Marthe et Marie, me croyant peut-être dévoré par la Tarasque, le monstre légendaire de la Provence. Et, alors, une larme perlait à mes cils ! Heureusement, personne ne la vit, car la nuit tombait, et, ma foi 1 je finis par m’endormir dans un coin delà « roulotte », bercé par les chansons de mes compa gnons de route. C’était une troupe nomade qui s'en al lait dans les grandes villes donner des re présentations au moment des fêtes ; cette fois, elle se rendait à Valence, où nous arrivâmes quelques jours plus tard. Là, mon premier soin fut d'écrire à ma man Renaude, d'abord pour lui dire que je l'aimais toujours, ensuite pour la prier de se tranquilliser ; je lui disais ceci : que je ne voulais plus « bayer aux cigales », que je voulais être comédien, acteur, chanteur, et que je reviendrais un jour à la ferme en calèche à deux chevaux, avec de l'ar gent plein mes poches ! A Valence, je débutai. . La troupe joua là un affreux mélodrame dont les trois actes se passaient devant une grande toile de fond représentant une forêt africaine. A un moment donné, l’au teur n’avait rien trouvé de mieux que de hacher par des rugissements de bêtes fé roces le dialogue des interprètes. Et je te nais ma partie dans ce concert farouche. Oui, mes amis, Clément Laurière, installé dans la coulisse, beuglait dans un verre de lampe pour imiter le rugissements du lien. Voilà ce que je fis pendant quinze jours, et il faut croire que, pour ce métier, j'avais des aptitudes, car, dès que je me mettais à rugir, les spectateurs regardaient la porte avec la mine de gens peu rassurés et qui ont bien envie de déguerpir. Dans toutes les villes où je passais, j’é crivais toujours un mot à maman Renaude, mais toutes les lettres restaient sans ré ponse La grand mère m'en voulait sûre ment ! Pourtant, j’eus, un jour, une grande joie : ce fut de recevoir un panier prove nant de la ferme et bourré de figues, d’amandes, de pastèques, de saucissons... — Allons ! me dis-je, maman Renaude m’aime encore 1 IV Je ne vous raconterai pas mes années de misère. Il y a là-dedans des pages trop tristes pour qu'une nouvelle édition en soit necessaire. Vous savez tous comment nu riche amateur m’ayant entendu chanter dans un café de Montmartre, enthousias me par ma voix, fit tous les frais de mes études musicales ; vous savez comment, pressentant en moi une vocation artisti que, il me lit compléter par le travail les heureuses dispositions dont la nature m'avait gratifié.Vous savez aussi l'histoire de mes débuts, comme ténor, à l'Opéra, et avec quelle faveur ce public parisien, uni que au monde, m’accueillit et me sacra artiste. Avec quelle passion j'ai chanté Raoul, des Huguenots ; Faust, du maître Uounod; Fernand, de la Favorite ; Elcazar, de la Juive, vous le savez, mes amis ; j’ai connu les triomphes les plus hauts qu'un homme puisse rêver : j'ai eu l’honneur d'interpré ter des chefs-d'œuvre, et bien souvent, je le dis avec une certaine fierté, le public m'a laissé croire que je les avais compris ! Mais une tristesse me restait dans l’âme : Dix ans après mon entrée à l’Opéra, ma man Renaude ne m’avait pas donné une seule fois de ses nouvelles. Ce mutisme de la bonne vieille me pesait sur les épau les ! Cctait le châtiment — le châtiment mérité — de mon égoïste départ de la ferme....

À propos

Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.

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